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Cas clinique #48 : Prise en charge d’un crush syndrome

Le 12 mars 2018, le SMUR d’Annecy (74) est déclenché pour un effondrement de maison avec notion d’une victime de 70 ans, retrouvée vivante dans les décombres. Les pompiers mettent une heure à sécuriser le site, avant que l’équipe médicale puisse approcher le patient.

La compression thoracique initiale a été levée à l’arrivée des secouristes, mais le patient reste prisonnier avec une compression du membre inférieur droit. Seul le tiers proximal de la cuisse est libre. Le SMUR diagnostique également une fracture ouverte de la diaphyse du fémur gauche peu hémorragique. Le patient est obnubilé, mais décrit bien sa douleur aux membres inférieurs. Sa femme nous apprend qu’il prend un traitement pour l’HTA (Aldactone® 75mg) et qu’il est en pleine forme. Le bilan :

  • FC= 104 / mn
  • TA= 85/58
  • FR= 30/mn
  • GCS= 13/mn (E=3 M=6 V=4)
  • EVA=7
  • T°= 33°C

Le SMUR réalise un électrocardiogramme qui indique une tachycardie et des ondes T, ample et pointue pathognomonique d’une hyperkaliémie. Le patient reçoit un traitement par gluconate de calcium et un remplissage massif de 1 600 ml qui permet de retrouver une TA à 102/71. Une surveillance continue (scope, PNI, saturation) est mise en place. Un traitement par morphine et Kétamine, ainsi qu’un bloc fémoral échoguidé gauche sont efficaces sur la douleur du patient (EVA=1). La fracture est immobilisée à l’aide d’une attelle de traction. Au moment du dégagement, (H+3) le médecin SMUR fait le choix de ne pas poser de garrot à la racine du membre. Le patient est ensuite transporté au centre hospitalier de secteur préalablement prévenu. A l’arrivée, le bilan biologique est évocateur d’une rhabdomyolyse, d’une insuffisance rénale aiguë et d’une hyperkaliémie à 6,1 g/L. La coloration rouge-brun des urines du patient est classique. Une radiographie retrouve une fracture de la diaphyse fémorale gauche. Le patient est opéré dans les suites immédiates. La pression intra-musculaire dans le mollet droit est mesurée à 30 mmHg, et il n’a pas été proposé d’incision de décharge. Une surveillance simple a permis de retrouver une fonctionnalité normale de la jambe droite.

 

Discussion du cas clinique

Le crush syndrome a été décrit par EG Bywaters en 1941 à la suite des bombardements de Londres. De nombreux cas sont régulièrement décrits dans la littérature à la suite de tremblement de terre principalement. Il correspond à l’ensemble des manifestations locales et générales secondaires à l’ischémie prolongée de masses musculaires importantes, liées à une compression intense et durable. Rapidement après la compression, la peau est froide et livide. Des pétéchies et des phlyctènes peuvent apparaître. La douleur est importante. Une augmentation du volume du membre concerné est observée. Les masses musculaires deviennent dures, et il existe une disparition des pouls en aval de la compression. Des troubles sensitivo-moteurs apparaissent allant jusqu’à la paralysie. Secondairement, un collapsus se met en place (pouls filant, TA systolique effondrée, différentielle pincée, extrémités froides et moites). La présence d’une polypnée, signe l’acidose métabolique. Le patient est agité et anxieux. Il y a un risque de désamorçage hypovolémique et d’hyperkaliémie dans le crush syndrome qui peuvent être à l’origine d’un arrêt cardio-circulatoire. Tout dégagement d’urgence sans médicalisation est donc à proscrire. Dans le cas clinique présenté, le risque d’hyperkaliémie a probablement été surestimé du fait du traitement du patient par Aldactone®. Ce médicament anti-hypertenseur est en effet un épargneur potassique qui peut entrainer une hyperkaliémie. Le risque de l’hyperkaliémie est la survenue d’une fibrillation ventriculaire, et le calcium est l’antidote de référence. Pour lutter contre l’hypovolémie, un remplissage massif et l’adjonction d’amines vasopressives sont utiles pour assurer un transport d’oxygène suffisant et limiter le risque d’insuffisance rénale secondaire. Lors du dégagement, la question de mettre en place un garrot doit être posée lorsque la durée de compression a excédé quatre heures. Au-delà, le garrot est conseillé. Il sera relâché progressivement à l’hôpital sous perfusion, voire après la mise en route d’une dialyse. Au-delà de huit heures de compression, la vitalité des tissus est compromise et une amputation est souvent nécessaire. Les incisions de décharge sont discutées à l’hôpital lorsque la pression des masses musculaires est supérieure à 40 mmHg.

Dr Dominique Savary

 

© DR

Dr Dominique Savary, Chef du pôle Urgences (SAU – SAMU/SMUR – Réanimation) et directeur du SAMU 74 depuis 2012, le Dr Dominique Savary est spécialiste des milieux périlleux et du secours en montagne.

 

En cas de crush syndrome

Ce qu’il faut faire

  • Anticiper les conséquences du crush syndrome : l’hypovolémie et l’hyperkaliémie qui surviennent au dégagement.
  • Mettre en place une surveillance « scopique » continue.
  • Noter avec précision l’heure de la compression et de la décompression.

Ce qu’il ne faut pas faire

  • Ne jamais dégager une victime « comprimée » sans médicalisation (synonyme d’arrêt de mort).
  • Ne pas mettre de garrot systématiquement au moment du dégagement.

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