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Débat – Généralisation de l’appel au 15 : une dégradation de l’urgence ?

Dès octobre 2022, le ministre de la Santé, François Braun, recommandait au public de composer le 15 avant de se rendre aux urgences. Une recommandation qui s’est par la suite confirmée pour s’installer sur la durée. Une nécessité pour les professionnels de l’urgence confrontés à des services saturés et un manque de moyen chronique. Quelles sont les conséquences de cette organisation ? Est-elle appelée à devenir la norme ? Et ce système qui instaure une généralisation de l’appel au 15 en amont n’est-il pas un aveu de faiblesse du système de santé synonyme d’une dégradation des soins d’urgence pour les patients ?

Yann Bellon

Delphine Briard, responsable communication de l’Union nationale des ARM (UNARM)

Recruter 1000 ARM

Depuis l’été 2022 et la généralisation des appels au 15, on constate un afflux de sollicitations avec une augmentation de 45 % au niveau national. Résultat : beaucoup d’ARM disent éprouver fatigue physique et usure psychologique. Il faudrait 800 à 1 000 ARM supplémentaires à l’échelle du pays, alors que la profession compte 2 500 personnels formés.

Or un constat s’impose : les centres de formation (CFARM) ne font pas le plein. La faute à une méconnaissance du métier et de la formation. En mai 2023, le ministère de la Santé et de la Prévention a lancé une campagne pour valoriser le métier, mais celle-ci a été exclusivement diffusée sur les réseaux sociaux, et non sur les médias traditionnels (télévision, radio, etc.). Depuis janvier 2023, les ARM sont reconnus en tant que professionnels de santé, et nous souhaitons que la grille salariale adaptée reconnue par le ministère de la Santé le soit également par la direction générale de la fonction publique. Nous voulons également que les ARM aient les mêmes modes de recrutement que les infirmiers et les aides-soignants et ne soient, de fait, pas contraints de passer le concours catégorie B de la fonction publique. A l’issue de leur formation certifiée accompagnée d’un an de stage, les personnels entrant dans la profession doivent aussi être reconnus comme détenteurs d’un diplôme de niveau BAC + 2. Depuis la grève initiée le 3 juillet dernier, nous réclamons une revalorisation salariale de 120 euros brut par mois. En plus de l’évolution statutaire et la création du corps de métier, nous demandons que les primes soient intégrées à la base salariale pour être comptabilisées dans le décompte des retraites. Au final, ces facteurs de reconnaissance sont d’autant plus importants que certains professionnels peuvent avoir l’impression de ne plus exercer leur métier de manière exhaustive. En effet, la mise en place du Service d’accès aux soins (SAS) – avec un décroché des appels s’organisant désormais à deux niveaux – a abouti à une taylorisation des tâches, entre les appels dédiés à la prise en charge de la détresse, et ceux moins urgents dirigés vers l’aide médicale urgente ou la médecine générale.

Dr Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France

Sanctuariser les services d’urgence

On ne peut pas parler d’une généralisation de l’appel au 15. En effet, aucun texte officiel ne stipule que les patients doivent appeler le 15 avant de se présenter aux urgences. De fait, il n’existe pas de caractère obligatoire et uniforme de cette prescription à l’échelle du territoire national. En revanche, il y a bien eu une communication nationale qui recommande au public d’appeler le 15 avant de se rendre aux urgences. C’est aujourd’hui une absolue nécessité dans un contexte où les services d’urgence sont saturés, confrontés à une hausse importante de l’activité combinée à une carence de moyens. Ce système de régulation en amont permet d’acheminer les patients dans les bonnes filières de soins et éviter de saturer une offre spécialisée et couteuse. Cette organisation a également eu pour effet d’augmenter les appels au centre 15, ce qui a entrainé des répercussions pour les ARM qui ont vu leur activité augmenter de 20 à 30 %. Des appels supplémentaires qui ont pu aussi accroitre la difficulté de réponse dans les meilleurs délais. De plus, lorsqu’a été préconisé, en juin 2023, l’appel au 15 dans le cadre des soins non programmés, certains patients ne disposant pas de médecin traitant ou de maison de santé à proximité n’avaient pas de réponse alternative dans l’immédiat. Dans ces cas précis ne relevant pas de l’urgence, on pouvait effectivement parler d’une dégradation de la réponse de l’offre de soins. Nous n’avons plus le choix : il faut à présent sanctuariser les services d’urgence pour les patients qui en ont réellement besoin. Les résultats sont là : lorsqu’une régulation médicale préalable d’accès au service d’accueil des urgences (SAU) a été mise en place, il a été constaté une baisse d’activité de 15 % en moyenne. Il faudra encore du temps pour que le SAS se mette en place sur l’ensemble du territoire. Il reste à faire un travail d’acculturation auprès des professionnels de santé libéraux pour qu’ils dégagent des créneaux de temps dans le cadre du SAS. Médecins généralistes, infirmiers, gynécologues ! Chacun doit s’engager dans cette réflexion collective pour être au service du bien commun.

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Nicolas Lefebvre

Journaliste dans la presse économique depuis 2002, il publie également un livre d’investigation aux éditions de l’Archipel en 2010. Secouriste bénévole, sauveteur aquatique et moniteur de premiers secours entre 2004 et 2018, il consacre sa maîtrise d’Histoire contemporaine à l’institutionnalisation du secourisme au sortir de la seconde guerre mondiale.En 2011, il fonde Oxygène Editions afin de publier Secours Mag, puis en 2017, SST Mag. Il assure aujourd’hui la rédaction en chef de ces deux titres de presse professionnelle.

Une réflexion sur “Débat – Généralisation de l’appel au 15 : une dégradation de l’urgence ?

  • Nous payons aujourd’hui, mais depuis plusieurs années déjà, une dégradation générale. Tout a été basculé sur les sapeurs-pompiers avec les VSAV, ou sur les servies d’urgence des hôpitaux. Tous les acteurs ont une part de responsabilité. Or, le transport des malades n’entre pas dans les missions des sapeurs-pompiers, sauf en cas d’urgence vitale et d’indisponibilité d’ambulances privées. Du VSABR dans les années 60-70 (Véhicule de secours aux asphyxiés et blessés DE LA ROUTE), on est arrivé ensuite aux VSAB (Asphyxiés et blessés), pour aujourd’hui à VSAV (Assistance à victimes) ! Ainsi, les sapeurs-pompiers sont devenus les “bonnes à tout faire”, ils le disent eux-mêmes. J’ai pu le constater en me rendant dans une compagnie de la BSPP. Mais cela décourage ! Il faut donc que chacun assume son rôle et sa mission propre et, dans ce cas, les ambulanciers privés, ainsi que les hôpitaux qui doivent, car nécessaire, détenir un service d’ambulances, qui serait le complément des ambulances privées et inversement. Sinon, il y aura de plus en plus de VSAV chez les sapeurs-pompiers, un besoin de personnel et toujours une dévalorisation de leurs missions à cause de ces transports qui ne sont pas de leur ressort. Quant au n° 15, leurs responsables/représentants, ont voulu que tout passe par eux, bien avant que l’on préconise d’appeler le 15 afin d’éviter de se présenter systématiquement à un service d’urgence hospitalier.
    Pour avancer, il faut que les gardes redeviennent obligatoires pour tous, donc outre TOUS les ambulanciers professionnels, les médecins de ville.
    Les numéros d’urgence compliquent notre système, car il y a le 18, le 15 mais aussi le 17 et le 112 pour ne citer qu’eux, alors que ce numéro (112) était destiné aux étrangers de passage dans chaque pays de l’Union européenne pour un contact rapide. Nous n’avons pas noté d’amélioration mais le contraire pour notre pays !
    Nous devrions nous orienter vers un NUMERO NATIONAL UNIQUE d’appel des secours, évidemment différent de ceux qui existent. Le but est de trier d’emblée les appels non urgents, par des personnels professionnels formés avec une appellation correspondante, mais n’étant ni des membres des centres actuels de réception des appels. Des personnels indépendants des structures actuelles qui opéreront pour gérer les demandes à tous les niveaux. Le premier tri sera déjà considérable car tous les acteurs des secours confirment qu’un pourcentage élevé de ces appels ne les concernent pas. Ces appels seraient pris en charge par un personnel de 1er niveau, U ou P (Urgent ou pas), sachant qu’ensuite il y aura traitement pour les appels, soit pour Police-Gendarmerie, Sapeurs-pompiers, ou SAMU.
    Bien sûr, dans notre pays, tout est toujours compliqué à entreprendre. Chaque corporation veut son numéro, ses centres de réception voire ses cellules de crise. Il y a donc bien une dégradation de l’urgence, ce qui met en péril des vies humaines. Nous ne devons donc plus tergiverser.
    Didier BURGGRAEVE, président-fondateur du CAPSU (1975)

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