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Cas clinique #45 : prise en charge d’une victime intoxiquée aux fumées d’incendie

Le 11 mai 2018 à 23h le Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) est engagé pour feu d’appartement. Lors de la reconnaissance, un binôme retrouve un occupant qui s’était enfermé dans un réfrigérateur (antécédents psychiatriques). Explications du Dr Caroline Duchier.

La victime est immédiatement extraite de l’appartement et prise en charge par un véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV). Devant son état, le Commandant des opérations de secours (COS) demande un SMUR en renfort. A notre arrivée, le patient est installé dans le VSAV, en position demi-assise, sous oxygène au masque à haute concentration. Le chef d’agrès nous passe le bilan suivant : un homme d’une quarantaine d’années, dont la durée d’exposition aux fumées d’incendie est d’au moins 15 minutes dans un espace clos très exigu. Les premiers paramètres sont les suivants : patient conscient, FC = 120 / minute, TA = 120/60 mmHg, saturation en oxygène : 92 % sous masque à haute concentration à 15L/min d’oxygène.

Lors de la première évaluation médicale, on découvre un patient somnolent qui répond aux ordres simples, et dont le score de Glasgow est estimé à 12. Il existe des signes d’intoxication aux fumées avec présence de suies au niveau du visage ainsi que des signes de détresse respiratoire avec désaturation et signes de lutte.

Le taux de monoxyde de carbone (CO) à la prise en charge initiale mesuré avec le Rad 57 est de 60 %.

Dans ce contexte d’exposition aux fumées d’incendie et devant la défaillance respiratoire et neurologique, nous prenons rapidement la décision de réaliser une intubation orotrachéale. L’état neurologique du patient va d’ailleurs se dégrader durant la préparation des drogues d’induction, avec un coma Glasgow 3 juste avant la réalisation de cette intubation. L’intubation se déroule sans difficulté et la laryngoscopie au moment de celle-ci montre la présence importante de suies au niveau de l’oropharynx, confirmant l’exposition aux fumées. Dans un second temps, devant la très forte probabilité d’intoxication au cyanure (exposition aux fumées d’incendie associée à une défaillance neurologique et respiratoire), nous décidons d’administrer une première dose de cyanokit (antidote du cyanure) soit 5 g par voie intra veineuse.

Devant l’intoxication majeure au CO (60 %) associée aux troubles neurologiques, il est décidé en accord avec le médecin régulateur du SAMU et le médecin hyperbariste d’astreinte de conduire le patient au caisson hyperbare. Le patient sera sorti de façon précoce du caisson devant une défaillance cardiovasculaire après 1h30 d’oxygénothérapie hyperbare contre les deux heures initialement prévues. Le taux de CO à la sortie du caisson était de 20 % contre les 60 % initiaux. Le patient sera transféré en réanimation, intubé, ventilé sous amines vasopressives pour la poursuite de sa prise en charge. Il sera extubé trois jours plus tard et sortira de réanimation dans les suites.

incendie

L’intoxication aux fumées requiert notamment une oxygénothérapie précoce.

 

Discussion du cas clinique

Il convient ici de rappeler que sur les intoxications aux fumées d’incendie, l’intoxication au cyanure est la résultante de la production d’acide cyanhydrique provenant de la combustion de matériaux naturels : laine, soie, cotons (feu de canapé, de matelas) et de matériaux plastiques (polyamide, polyuréthane…).

L’intoxication au cyanure donne des symptômes aspécifiques, allant de vertiges, céphalées, jusqu’au coma, état de choc et arrêt cardiorespiratoire selon la profondeur de l’intoxication. Il est recommandé d’administrer un antidote du cyanure dans les cas d’intoxication modérée à sévère, à savoir devant un état de choc, un trouble de la conscience majeur, ou un trouble de la conscience modérée associé à une défaillance respiratoire.

L’antidote utilisé est l’hydroxocobalamine (B12), cyanokit, par voie IV, à dose de 5 g (70 mg/kg chez l’enfant), à renouveler éventuellement une fois en cas d’arrêt cardiorespiratoire ou d’état de choc. Il a peu d’effets indésirables et a la particularité de colorer de façon réversible en rose les téguments et les muqueuses, et en rouge foncé les urines.

Concernant l’intoxication au monoxyde de carbone, les symptômes sont aussi relativement aspécifiques, allant de nausées, vomissements, vertiges, asthénie jusqu’aux complications cardiovasculaires (ischémie myocardique, collapsus, œdème pulmonaire), coma. Le risque fœtal chez la femme enceinte est majeur car l’hémoglobine fœtale est très affine pour le CO.

Le traitement de l’intoxication au CO est l’oxygénothérapie. Il existe deux indications consensuelles d’oxygénothérapie hyperbare qui sont le coma et la femme enceinte ; et deux indications admises qui sont la perte de connaissance initiale et les troubles neurologiques.

 

En cas d’intoxication aux fumées d’incendie

Ce qu’il faut faire

  • Initier une oxygénothérapie précoce

  • Administrer du cyanokit par voie intra-veineuse en cas de troubles de la conscience majeurs, en cas d’état de choc ou en cas de troubles de la conscience modérés associés à une défaillance respiratoire.

Ce qu’il ne faut pas faire

  • Méconnaitre une intoxication au cyanure ou au monoxyde de carbone devant des symptômes aspécifiques tels que des céphalées, vertige, asthénie, malaise, convulsion, etc.

  • Ne pas réaliser une oxygénothérapie hyperbare chez une femme enceinte intoxiquée au monoxyde de carbone, même si les symptômes sont mineurs, car il existe un risque fœtal majeur devant sa forte affinité pour le CO.

 

Caroline Duchier

Dr Caroline Duchier

Médecin urgentiste, le Dr Caroline Duchier a exercé en tant que praticien hospitalier contractuel du service d’accueil des urgences et du SMUR du centre hospitalier de Semur-en-Auxois (21). Elle est actuellement médecin SMUR au Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM).

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