Billet d’humeur #45 : Lieutenant Colonel Jean-Baptiste Estachy
“Inconscients ? Trop facile…”
Le modèle français de secours en montagne, adossé depuis 60 ans à des services publics de plus en plus performants, est reconnu bien au-delà de nos frontières. Émanant d’un système de soins et de secours accessibles à tous, il participe de l’attractivité de nos territoires.
Nos vallées, nos falaises, nos cours d’eau et nos sommets s’animent en été comme à aucun autre moment de l’année. Des centaines de milliers de pratiquants de la montagne, dont nous sommes, viendront en profiter cette année encore, chacun à sa manière. Quelques 3000 fois, les secouristes se porteront auprès de ceux qui en auront besoin, en faisant tout pour ne pas arriver trop tard.
Malchance ? Inexpérience ou négligence ? Fatigue ou précipitation ? En menant l’enquête, en analysant les pratiques pour cibler nos actions de prévention, nous ne cessons de constater que « l’arbre des causes » porte bien son nom. Il est souvent touffu, complexe, loin du raccourci en ligne droite que trace la très médiatique « inconscience » des victimes.
Bien sûr, certains comportements irritent. Bien sûr, l’irritation devient révolte lorsqu’ils conduisent au drame. Mais si les solutions éructées sous le coup de l’émotion en étaient, nous le saurions.
Réduire l’accident à l’inconscience des pratiquants est à la fois facile et nocif. Facile parce que l’on évite de se poser de nombreuses questions de fond sur l’accès à la montagne, la formation, la publicité… Nocif parce qu’au bout du compte, le jugement ainsi porté remet inévitablement en cause le service public. Le secours en montagne, de la confiture aux cochons ? Non merci. Fin décembre 1956, Jean Vincendon et François Henry, deux jeunes alpinistes en perdition sous le Mont-Blanc agonisaient pendant que, dans la vallée, on tentait de répondre à cette question avant de déclencher les opérations. Secouristes professionnels, nous héritons de la réaction de l’État à ce moment-là. Nous pouvons, à ce titre, contribuer à rehausser le débat.
Lieutenant Colonel Jean-Baptiste Estachy, conseiller technique montagne du directeur général de la Gendarmerie nationale