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Cas clinique #42 : prise en charge d’une gelure au niveau d’un pied chez un jeune aspirant guide de haute montagne

Au poste de secours en montagne de l’Alpe d’Huez le 22 décembre 2016 au petit matin, un appel de la gardienne du refuge du Soreillier en Oisans (38) nous informe que son fils Gaëtan n’est pas rentré d’une course hivernale : la Fourastier.

Texte : Dr Patrick Basset et Dr France Rocourt

 

Gaëtan a 28 ans. C’est un enfant des montagnes. Alors que les conditions météorologiques s’avèrent favorables, qu’une reconnaissance en parapente a été réalisée et que ses amis guides le confortent dans son projet, Gaëtan se lance dans une course habituellement printanière en plein moins de décembre. La Fourastier s’inscrit dans le cadre de sa liste des courses à effectuer pour le probatoire de guide de haute montagne. Il raconte : « La course se déroule sans problème, le froid est vif, quelques onglées aux relais, jamais de sensation de froid intense grâce à une activité physique continue. En touchant du métal avec la lèvre, un morceau de celle-ci s’arrache. Il faisait donc vraiment froid. » C’est l’hiver à 3 500mètres d’altitude. Pour Gaétan et son ami, la course dure dix heures de plus que prévu. Ils passent donc une nuit en haute montagne sur la paroi à faire des longueurs. Ils sont ralentis par manque de glace et une couverture de neige gobelet. Il avait été convenu avec son entourage familial que les secours seraient déclenchés s’ils ne se manifestaient pas avant 8 heures du matin. Ne le voyant pas revenir, sa famille s’inquiète et appelle la base d’Huez. Un signalement est pris en considération par les secours qui font une analyse de la situation en concertation avec le médecin et le pilote de l’hélicoptère. Mais vers 6 heures, après 25 heures d’effort, Gaëtan finit par arriver à sa voiture et informe sa famille de son retour. Immédiatement le poste de secours en montagne est averti et le vol hélicoptère de reconnaissance prévu est annulé. Lors du retrait de ses chaussures, le jeune homme éprouve une douleur intense, et constate que ses orteils n’ont pas leur couleur habituelle. N’étant pas loin du poste de secours en montagne, il s’y rend immédiatement pour consulter le médecin de garde. L’inquiétude est présente car, même si le pronostic précoce est difficile à établir cliniquement, on réalise vite que Gaëtan a souffert d’une gelure importante. Immédiatement le traitement de sa gelure débute :

  • Bain à 38°c avec des antiseptiques

  • Ne pas se rechausser et éviter le regel

  • Mise sous aspirine 250 mg/j

  • Mise sous anti douleur

  • Suivi de l’évolution via des photos télétransmises.

 

Après le bain, c’est le début des phlyctènes et régression de la phase initiale. Dans les 48 heures qui suivent, les phlyctènes augmentent, c’est la phase la plus riche sur le plan clinique.Le jeune aspirant guide de haute montagne vient régulièrement au poste de secours dans le cadre de son suivi. Trois à quatre jours sont habituellement nécessaires pour savoir s’il s’agit d’une gelure superficielle ou profonde. Le bilan d’imagerie qui peut donner des éléments pronostic pour ses orteils est la scintigraphie. La scintigraphie osseuse au Technétium 99 permet de raccourcir le délai d’attente pour le choix de l’amputation. Mais l’examen ne doit pas être trop précoce, car il peut être faussement rassurant si les lésions de nécrose progressives n’ont pas eu le temps de s’installer. Cliniquement, nous sommes face à une évolution défavorable car la nécrose de 2 à 3 orteils, dont le gros orteil, s’installe, et on passe en stade 2. Dans un souci de tenter le tout pour le tout, son cas clinique est proposé aux médecins du centre de médecine hyperbarique du CHU de Lyon (69). Après consultation à l’hôpital Edouard Herriot, les médecins programment des séances hyperoxiques, sans grande conviction scientifique. Ils tentent, par une hyper oxygénation des tissus, d’obtenir une cicatrisation de meilleure qualité, l’objectif étant d’éviter l’amputation. Le 5 janvier, soit huit jours après la gelure, la scintigraphie osseuse donne beaucoup d’espoir car l’os des orteils est vivant… et la place du caisson se confirme. Après de nombreuses séances de caisson hyperbare et grâce à cette chaine humaine des secours, le jeune aspirant guide de haute montagne n’a pas besoin de chirurgie, et va garder tous les orteils de son pied. Le 5 février, il reprend les cours de ski.

gelure  gelure  gelure

La première photo montre la gelure à J+2, la seconde à J+11 et la troisième à J+16.  

 

Discussion du cas clinique

La gelure est redoutée de l’alpiniste qui pratique la montagne surtout l’hiver, mais elle menace aussi le randonneur perdu ou le voyageur aimant fréquenter les régions froides. C’est un gel des tissus qui atteint d’abord les extrémités, pieds et mains surtout, mais aussi parfois le nez, les joues, les oreilles. La conséquence la plus grave est l’amputation et les conséquences secondaires. Ce cas n’est pas unique, mais il montre que même si la science n’a pas encore tout dit, il faut tout tenter et c’est grâce à tous les maillons de la chaine que l’on peut obtenir un résultat salvateur.

Ce qu’il faut faire

  • Prévention en amont avec du matériel de qualité (ne pas être trop serré)

  • La perte de sensibilité est le premier signe à dépister et à traiter par friction

  • Le réchauffement par bain d’eau chaude (38 à 40°) est une

    urgence prioritaire

Ce qu’il ne faut pas faire

  • Se réexposer au froid

  • Abandonner les soins

  • Amputer précocement

 

Dr Patrick Basset

Médecin anesthésiste réanimateur, membre de l’association nationale des médecins de secours en montagne (ANMSM) le Dr Basset est spécialisé dans l’encadrement médical des sports d’ultra-endurance en milieu hostile. Il est aussi directeur médical du marathon de Paris, de l’Ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB), de l’étape du Tour de France depuis plus de 10 ans.

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