Paramédicalisation des secours au SDIS 44 : 20 ans après, quel bilan ?
Dès 2003, au vu du début d’évolution du cœur de métier des sapeurs-pompiers vers le secours d’urgence aux personnes, le SDIS 44 a expérimenté la paramédicalisation des secours. 20 ans plus tard et alors que les SAMU souhaitent légitimer le recours à des Unités mobiles hospitalières paramédicalisées, le Dr Michel Weber, médecin chef du SDIS 44, livre un retour d’expérience de ce dispositif.
Les SAMU souhaitent légitimer les Equipes paramédicales de médecine d’urgence (EPMU) jusqu’ici expérimentales en formalisant dans le code de la Santé Publique le cadre d’exercice d’« unités mobiles hospitalières paramédicalisées » (UMH-P). Qu’en pensez-vous ?
Face à la crise traversée par les SAMU et les structures hospitalières d’accueil des urgences, le président de la République a confié en mai 2022 à des professionnels de santé une mission flash afin de dresser un bilan précis de la situation et faire des propositions concrètes avant l’été.
Le rapport « Mission flash sur les urgences et soins non programmés » a été remis à la Première ministre par le Dr François Braun le 30 juin 2022, nommé depuis ministre de la Santé et de la prévention.
Une des mesures proposées est l’autorisation temporaire d’EPMU. En absence de médecin urgentiste sur un territoire SMUR, il peut être temporairement acceptable que l’équipe d’intervention hospitalière ne soit composée que d’un ambulancier et d’un infirmier diplômé d’Etat.
Cette possibilité n’est pas une nouveauté pour les Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) qui possèdent une solide expérience dans ce domaine. En effet, le Service de santé et de secours médical (SSSM) du SDIS de Loire-Atlantique (44) gère depuis le 1er juillet 2003 des vecteurs d’intervention paramédicalisés : les Véhicules de liaison infirmiers (VLI). Ils sont armés par un Infirmier sapeur-pompier (ISP) et un équipier, tous les deux formés et habilités à cette fonction.
Ces personnels interviennent dans le cadre du soutien santé des sapeurs-pompiers, mission propre du SSSM, mais également et majoritairement dans l’Aide médicale urgente (AMU), mission clairement définie dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT) et récemment réaffirmée par la loi dite Matras (Loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels).
En quoi la paramédicalisation opérée par les VLI se distingue de celle des EPMU ?
La philosophie de la paramédicalisation du Secours et soins d’urgence aux personnes (SSUAP) par les SSSM est radicalement différente de la proposition de la mission flash. Elle n’intervient pas par carence d’un médecin, mais dans le cadre d’une réponse graduée face à des situations d’urgence vitale, ou pour la prise en charge de la douleur. L’ISP applique des Protocoles infirmiers de soins d’urgence (PISU) validés et signés par le médecin-chef du service d’incendie et de secours. Cette approche permet de gagner un temps précieux pour la victime, en attendant l’arrivée si nécessaire d’un médecin sur les lieux.
Comment percevez-vous ce développement de la paramédicalisation coté « Blancs » ?
Au niveau national, de nombreux médecins urgentistes et leurs représentations syndicales ou associatives ont longtemps été réticents, voire formellement opposés, à l’existence des VLI et à leur développement. Dans un contexte aujourd’hui sans précédent de pénurie médicale, leur positionnement évolue et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Les quelques expérimentations actuelles d’EPMU hospitalières ne font que reprendre le modèle sapeur-pompier longtemps décrié, mais beaucoup plus abouti au vu des nombreuses années d’expérience.
Quel bilan tirez-vous de votre expérience ?
La paramédicalisation des secours par les ISP mise en place il y a 20 ans a démontré tout son intérêt pour les victimes, aux côtés des autres acteurs préhospitaliers. C’est un dispositif solide qui a fait ses preuves.
Dès 2003, au vu du début d’évolution du cœur de métier des sapeurs-pompiers vers le secours d’urgence aux personnes, le SDIS 44 a souhaité expérimenter la paramédicalisation des secours dans le seul objectif d’assurer une meilleure prise en charge des victimes. L’action des ISP se situe à mi-chemin entre les sapeurs-pompiers formés au secourisme et les médecins sapeurs-pompiers ou urgentistes hospitaliers formés à la médicalisation des urgences.
En 20 ans, ce sont plus de 50 000 interventions qui ont été réalisées par les ISP du SDIS 44. Ces derniers sont devenus un maillon incontournable dans la chaîne des secours, en apportant une réponse paramédicale proportionnée et raisonnée à la détresse.
Comment s’organise le dispositif au sein du SDIS 44 ?
En adéquation avec le Schéma d’analyse et de couverture des risques (SDACR) signé par le préfet, trois agrès VLI en garde 24h/24 sont basés stratégiquement dans trois Centres d’incendie et de secours (CIS), complété d’un quatrième en période estivale. Ce sont plus de 100 infirmiers de sapeurs-pompiers volontaires formés et habilités qui se relaient pour assurer ce dispositif, totalisant en moyenne aujourd’hui 4 500 interventions par an.
Des choix opérationnels préétablis d’engagement des VLI ont été programmés dans le logiciel d’alerte du Centre de traitement de l’alerte (CTA) : arrêt cardiaque, accident de la voie publique ou du travail avec notion de gravité significative, douleur traumatique, pathologies médicales (coma hypoglycémique, douleur thoracique, crise d’épilepsie, crise d’asthme, etc.) ou circonstancielles (intoxication au monoxyde de carbone, aux fumées d’incendie, allergie grave, etc.).
L’opérateur peut également se rapprocher de l’Officier santé CODIS (OSC), poste tenu par un ISP, en cas de doute sur l’intérêt de l’envoi d’un VLI sur une situation non prévue automatiquement.
Le VLI peut également être engagé en renfort à la demande du chef d’agrès du VSAV ou du Samu-Centre 15.
L’intervention de l’ISP permet également d’éviter des transports et des hospitalisations inutiles, notamment dans le cas de malaises hypoglycémiques.
L’action des ISP se situe à mi-chemin entre les sapeurs-pompiers formés au secourisme et les médecins sapeurs-pompiers ou urgentistes hospitaliers formés à la médicalisation des urgences.
De quels moyens disposez-vous pour garantir la qualité de la réponse apportée ?
Les PISU permettent en toute légalité à l’ISP de mettre en œuvre de manière autonome des thérapeutiques dans des situations d’urgence et avec une garantie de qualité optimale de soins pour la victime.
Sur le terrain, après échange d’informations avec le chef d’agrès du VSAV, l’ISP effectue auprès de la victime un bilan paramédical circonstanciel, clinique et paraclinique basé sur l’approche d’origine anglo-saxonne du bilan XABCDE. Cela lui assure ainsi de traiter en premier lieu ce qui risque de tuer en premier : « Treat first what kills first. »
Les PISU sont de véritables prescriptions signées en amont par le médecin-chef du SDIS, basées sur les recommandations nationales et internationales, ainsi que sur les conférences de consensus. Ils sont mis à jour régulièrement afin d’être en parfaite adéquation avec les évolutions de la science.
Suivant la situation, l’ISP les applique, dans le respect strict de leurs indications et de leur déroulement. Il transmet ensuite par téléphone son bilan, ainsi que les soins dispensés au médecin régulateur du Samu-Centre 15, qui lui indiquera la poursuite, l’adaptation ou l’arrêt du protocole mis en place, l’envoi éventuel d’une équipe SMUR en renfort, ainsi que la destination de la victime.
Les échanges avec la régulation médicale sont aujourd’hui simplifiés grâce à la mise en œuvre sur le terrain de la dématérialisation du dossier de la victime.
En effet pour chaque intervention les sapeurs-pompiers tracent l’ensemble de leur bilan, ainsi que les actes dispensés sous une application informatique sur tablette qui leur permet de transférer de manière cryptée et sécurisée toutes ces informations de manière instantanée au SDIS 44, SAMU et établissements receveurs.
Des documents complémentaires peuvent être intégrés au dossier : photos des ordonnances de traitement, électrocardiogramme, photos du traumatisme ou de l’accident montrant la cinétique…
En quoi consiste la formation des ISP ?
Afin d’être habilités à la mission, l’équipe professionnelle du SSSM (médecins, cadres de santé, infirmiers, pharmaciens), les instructeurs sapeurs-pompiers, mais également les partenaires tels que les services d’accueil des urgences conventionnés assurent la formation des nouveaux ISP à l’urgence préhospitalière.
La formation initiale s’effectue sur une période de 8 à 10 mois dans le respect d’un cursus précis : journée d’incorporation, formation en tant qu’équipier de secours d’urgence de niveau 1 et 2 (10 jours), gardes d’observation en VSAV et VLI (3 gardes de 12 heures), un enseignement théorique à distance, quatre journées pratiques de simulation, et enfin des doublures VLI encadrées par un pool d’infirmiers formateurs, avant une validation finale par l’infirmier-chef et le médecin-chef. Une fois inscrits sur une liste d’aptitude opérationnelle signée par le directeur départemental sur proposition du médecin-chef, les ISP doivent respecter un nombre minimum de garde par mois et valider leur journée annuelle de maintien des acquis afin de continuer à assurer cette mission. Une re-certification triennale est en cours de mise en place.
Quel suivi est assuré pour évaluer l’efficacité du dispositif et améliorer les pratiques sur la durée ?
Pour chaque intervention, dès la réception de la fiche bilan paramédicale sur la plateforme informatique du SDIS 44, celle-ci est analysée dans le cadre de l’évaluation des pratiques professionnelles par l’officier santé CODIS.
Ce système permet non seulement de garantir la qualité des soins dispensés auprès des victimes mais également de travailler pour l’amélioration continue des pratiques professionnelles. Dans le cadre de la pharmacie clinique, les pharmaciens sapeurs-pompiers sont également amenés à participer à l’évaluation des pratiques.
Depuis la loi Matras, les sapeurs-pompiers ne relevant pas du service de santé sont habilités à réaliser des actes de soins d’urgence, sous réserve d’avoir suivi la formation adéquate. Cela peut-il vous conduire à revoir la place des VLI ?
La possibilité pour les sapeurs-pompiers de réaliser des actes de soins d’urgence est une juste reconnaissance de leur action au quotidien, en tant que premier acteur du secours d’urgence en France avec plus de quatre millions d’interventions par an. C’est une occasion supplémentaire d’apporter des secours de qualité adaptés à la détresse sur l’ensemble du territoire. La place des VLI n’est donc en aucun cas remise en cause, mais il nous faut maintenant permettre aux ISP d’aller encore plus loin dans les gestes et thérapeutiques autorisés dans le cadre des PISU.
Cadre de santé commandant Yoann Bossy et Dr Michel Weber, médecin chef du SDIS 44