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Billet d’humeur #49 : Nathalie, une infirmière épuisée

“ J14… Lettre Ouverte à mon Futur Patient ”

Mon Cher Patient,
Le jour où tu te présenteras au service des urgences de Saint- Malo, tu seras reçu par moi, l’infirmière d’accueil et d’orientation. J’arriverais à bien t’orienter, mais pour ce qui est de bien t’accueillir, c’est là que tout se complique… On sera interrompu un certain nombre de fois par la sonnerie aigüe du téléphone, et sans parler du balai incessant des ambulances arrivant sirènes hurlantes. Et oui, on est seul à accueillir en moyenne 110 patients/jour. Et la nuit, on fait même les entrées administratives. Après avoir attendu un temps conséquent en salle d’attente, mon collègue t’installera dans une salle d’examen vétuste, éclairée à la seule lumière d’un néon, où il fait une chaleur étouffante. Le manque de matériel l’obligera à sortir plusieurs fois à la recherche d’une couverture usée ou d’un tabouret bancal. Déjà 5h de présence, et pas l’ombre d’un médecin. Désolé, ils n’ont que le pouvoir de soigner, pas encore celui de se dédoubler. Enfin, un médecin arrivera pour t’ausculter et déjà on t’expliquera qu’on a besoin de libérer la pièce. Avec plus de 40 000 passages annuels et des locaux conçus pour 20 000, pas d’autres choix que de t’installer dans le couloir. Nous ne pourrons même pas t’accorder le réconfort d’avoir tes proches avec toi faute de place. Tu te sentiras résolument seul malgré l’agitation environnante. Il sera préférable que tu n’aies besoin de rien, parce que tu ne trouveras pas facilement quelqu’un de disponible. Mes collègues aidessoignants devant assurer des missions de coursier, assistant de radiologie et brancardier plutôt que de prendre soin de toi et rester à tes côtés. Mais tu ne pourras pas te plaindre, la dame âgée derrière toi qui crie « à l’aide », cela fait 17 heures qu’elle attend son lit, et on ne sait toujourspas où elle va passer la nuit. Voilà, cette journée se terminera et je rentrerais chez moi avec le sentiment de ne pas avoir pris soin de toi, ni des autres d’ailleurs… Je reviendrai demain, je te retrouverai assis sur cette chaise noire inconfortable au milieu du couloir. A 14h, il n’y aura déjà plus de places où « stationner » les brancards. 27 longues heures de patience, mon cher patient… Tu auras l’air tellement fatigué, mais tu auras surtout l’impression d’avoir été oublié. Par mesure d’économie, on ferme des lits d’hospitalisation, on réduit le personnel et on allonge le temps d’attente aux urgences. Alors s’il te plaît, ne m’en veut pas mais je n’y arrive plus, je suis à deux doigts de baisser les bras. Depuis longtemps je souffre intérieurement, mais depuis quelques temps mes larmes coulent dans l’indifférence. Mon cher patient, sincèrement pardonne-moi, mais on ne nous donne plus les moyens de prendre soin de toi. Même si tasanté n’a pas de prix, aujourd’hui malheureusement elle a surtout un coût.

Nathalie, une infirmière épuisée (Urgences de Saint Malo)

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