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Urgences : la bonne ordonnance ?

Remis le 30 juin par le Dr François Braun à la première ministre Elizabeth Borne, le rapport de la mission Flash sur les urgences et les soins non programmés propose 41 recommandations. Un rapport diversement accueilli par les professionnels des secours et des soins d’urgence dans un contexte où le manque de personnels apparait criant, et auquel s’ajoute la reprise épidémique du Covid-19 faisant craindre l’aggravation d’une situation déjà très préoccupante.   

Répondre à la crise que connaissent actuellement les services d’urgence et passer l’été qui s’annonce particulièrement chaud pour l’hôpital. C’est l’objectif des propositions formulées par le rapport du Dr François Braun. Nommé ministre de la Santé et de la Prévention ce lundi 4 juillet, le Dr Braun propose 41 recommandations pour l’été qui ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des professionnels de santé ainsi qu’aux établissements publics et privés.

Comment sont accueillies dans l’ensemble ces propositions (Lire plus bas) par les acteurs du secours et des soins d’urgence ?

L’AMUF en opposition

Médecin urgentiste et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), le Dr Christophe Prudhomme est particulièrement remonté. « Le rapport entérine la fermeture des urgences la nuit. Il s’agit d’une rupture du service public et de son engagement à fournir à tous les citoyens des secours disponibles 24h/24 à moins de 30 minutes. »

La recommandation de lancer une campagne d’information nationale auprès de la population préconisant d’appeler le 15 avant de se rendre aux urgences ne passe pas. « Les Français appellent en masse et les centres de réception ne sont pas dimensionnés pour faire face. En Seine Saint-Denis, on est à 8 % de décrochés en moins d’une minute ! A terme, ce sont les SAMU qui vont s’effondrer ! »

Autre point qui fait débat : le recrutement facilité d’assistants de régulation médicale (ARM) via le report de la date butoir de certification de décembre 2023 à décembre 2025.  « Cette mesure est contradictoire avec la revalorisation de la formation qui a été mise en œuvre en 2019 suite à l’affaire Naomi Musenga. »

La mise en place de la fonction de gestionnaire de lits dans les établissements de santé est également pointée du doigt. « Reprendre l’idée du Bed manager, initiée par madame Bachelot il y a plus de dix ans, est une fausse bonne idée. A l’époque, l’objectif était d’optimiser la gestion des lits, mais le problème n’est pas la gestion, c’est le manque de lits ! » Une étude du ministère de la santé menée en 2019 a mis en évidence ce phénomène : en six ans, ce sont près de 17 500 lits supplémentaires qui ont été fermés.

L’installation de maisons médicales de garde ne semble pas non plus être une solution pour relâcher la pression sur les services d’urgence. « Nous l’avons constaté à Aulnay-sous-Bois : l’installation d’une maison médicale n’a pas fait baisser le nombre de passages aux urgences. » Par ailleurs, le Dr Christophe Prudhomme dénonce la mise en œuvre d’une politique libérale qui, selon lui, détruit le service public et valide une ubérisation de la médecine et l’instauration d’un système à deux vitesses. « Le système s’effondre et les conséquences sont terribles. Nous avons déjà eu des morts, et il y en aura d’autres ! Tous les responsables sont des meurtriers par procuration. »

Parmi les mesures à privilégier, le Dr Prudhomme prône une obligation de garde pour tous les médecins en échange de contreparties, et de favoriser le recours à la médecine de ville dans le cadre des visites à domicile ou en EHPAD. Le médecin urgentiste recommande également une organisation du territoire à l’échelle départementale avec une collaboration plus étroite et non subordonnée entre SAMU et sapeurs-pompiers.

Quid des pompiers et AASC ?

Vice-président de la FNSPF, le Dr Norbert Berginiat regrette l’absence de concertation avant la remise du rapport au vu de « l’importance dans le domaine de l’urgence préhospitalière des sapeurs-pompiers qui réalisent près de 4 millions d’interventions par an ».

Il se réjouit néanmoins de la recommandation concernant le redéploiement des VLI sapeurs-pompiers en zone blanche SMUR (SMUR à plus de 30 minutes).

En revanche, l’augmentation potentielle des carences suscite des inquiétudes. « Avec le recours de l’hospitalisation à domicile, les EHPAD qui ne disposent pas de médecins et d’infirmiers ne pourront pas tenir le choc. Cela  risque d’entrainer une augmentation des transports à l’hôpital, et de fait une hausse des sollicitations assurées par les sapeurs-pompiers pour pallier les carences ambulancières. »

Du côté des associations agréées de sécurité civile (AASC), Joël Prieur, secrétaire général du CNPC, déplore également l’absence de concertation. Et s’interroge sur la suite qui sera donnée. « Le rapport recommande d’autoriser sur prescription de la régulation médicale le transport de patients vers la médecine libérale par des AASC, à défaut d’un transporteur sanitaire. Problème : une insécurité juridique subsiste puisque les AASC – contrairement aux pompiers qui ont obtenu une dérogation – n’ont pas la qualité de transporteur sanitaire, malgré une première demande formulée par le CNPC dès 2006. » Une requête qui, si elle était satisfaite, constituerait une concurrence déloyale pour les ambulanciers. Et poserait également la question du remboursement des carences pour les AASC.

Face à ces interrogations, Joël Prieur conclut : « Le Dr Braun va t-il résister au corporatisme des ambulanciers et étendre la dérogation aux AASC ? » Autant de points qui ne seront certainement pas tranchés dans un avenir proche. Et un constat s’impose : de nombreuses incertitudes demeurent, alors que l’urgence n’en finit plus de grandir…

Les 41 recommandations du rapport

Ces recommandations sont présentées selon 4 axes :

1) proposer en amont, des parcours de soins adaptés sans recourir aux urgences

2) maintenir la réponse aux urgences vitales et/ou graves dans les établissements de santé et en préhospitalier

3) soutenir et préserver les équipes des structures de médecine d’urgence

4) fluidifier les parcours de soins à partir des urgences (aval)

Le premier axe comprend trois objectifs et 17 propositions au total, soit :

1er objectif : orienter les patients dans le système de santé.

Recommandation n°1 : Informer la population avec une campagne nationale et locale sur le bon usage des services d’urgence.

Recommandation n°2 : Faciliter le recrutement d’ARM en repoussant l’échéance de certification de décembre 2023.

Recommandation n°3 : Financer la mise à niveau des effectifs ARM (y compris en SAS).

Recommandation n°4 : Permettre aux médecins régulateurs généralistes en journée d’être collaborateurs occasionnels du service public.

Recommandation n°5 : Ouvrir le SAS à l’ensemble des professionnels de santé afin de favoriser le développement des filières directes de prise en charge sans passer par les urgences.

Recommandation n°6 : Rémunérer les médecins régulateurs généralistes au forfait « brut » de 4G/ heure.

Recommandation n°7 : Accompagner le déploiement d’ici l’automne 2022 de l’utilisation de la plateforme numérique du SAS sur tout le territoire national.

2e objectif : optimiser le temps médical et augmenter les capacités de réponse à la demande de soins non programmés en ville.

Recommandation n°8 : Prolonger et faciliter, en lien avec les ordres professionnels, l’autorisation de cumul d’activité titulaire/remplaçant au-delà du 1er juillet (MG et IDEL).

Recommandation n°9 : Encourager l’activité des médecins retraités.

Recommandation n°10 : Attribuer, à titre dérogatoire et temporaire, un supplément de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral à la demande de la régulation du SAMU/SAS pour un patient hors patientèle, dans la limite d’un plafond hebdomadaire.

Recommandation n°11 : Sécuriser la réponse aux soins non programmés le samedi matin par une organisation formalisée.

Recommandation n°12 : Favoriser et financer le déploiement des unités mobiles de télémédecine intervenant sur demande du SAMU/SAS.

Recommandation n°13 : Maintenir de la prise en charge à 100 % des téléconsultations sur l’été.

Recommandation n°14 : Autoriser, sur prescription de la régulation médicale, le transport sanitaire vers les cabinets médicaux et MMG.

Recommandation n°15 : Revoir à la hausse le plafond d’heures TSU envisagées dans le modèle de simulation, considérés comme trop justes au regard des travaux de projection territoriale en cours.

3e objectif : s’appuyer sur l’ensemble des professionnels de santé libéraux d’un territoire.

Recommandation n°16 : Mobiliser les infirmier(e)s libéraux volontaires pour assurer une réponse aux SNP à la demande de la régulation médicale du SAMU-SAS.

Recommandation n°17 : Simplifier radicalement pour l’été la mise en application des protocoles de coopération entre professions de santé sous coordination médicale dans les territoires volontaires.

Le second axe comprend un objectif : maintenir le maillage territorial des SMUR avec 5 propositions au total, soit :

Recommandation n°18 : Prioriser le maintien d’une ligne de SMUR mutualisée avec les urgences en organisant parallèlement la continuité des soins au sein de l’établissement.

Recommandation n°19 : Élargir à H24 les horaires de permanence pour les HéliSMUR en H12/14 dans les zones en difficulté.

Recommandation n°20 : Renforcer les liens et développer les médecins correspondants du SAMU (MCS) dans les zones sous-denses.

Recommandation n°21 : Redéployer les VLI sapeurs-pompiers en fonction des besoins de la population (zones « blanches »).

Recommandation n°22 : en absence d’un médecin urgentiste sur un territoire SMUR, autoriser temporairement une équipe paramédicale de médecine d’urgence (EPMU).

Le troisième axe comprend trois objectifs pour 14 propositions.

1er objectif : limiter l’activité des services d’urgence en la concentrant sur leur plus-value.

Recommandation n°23 : Mieux réguler les admissions en service d’urgence, soit à l’entrée du service, soit par la régulation médicale préalable par le Samu/SAS.

Recommandation n°24 : Autoriser la suspension d’activité partielle d’un SU dans une logique territoriale

2e objectif : renforcer les effectifs.

Recommandation n°25 : Organiser la PDSES à l’échelle d’un territoire en associant les spécialistes privés et publics sous la coordination de l’ARS.

Recommandation n°26 : Autoriser les DES avec licence de remplacement à travailler à l’hôpital public.

Recommandation n°27 : Contractualiser la participation des membres du 3SM à l’activité des urgences hospitalières.

Recommandation n°28 : Prolonger l’autorisation d’exercice des PADHUE.

Recommandation n°29 : Autoriser le TTA pour les docteurs juniors (DES)

Recommandation n°30 : Favoriser le recrutement de professionnels de santé libéraux qui acceptent de participer à l’activité hospitalière en plus de leur activité libérale.

Recommandation n°31 : Fluidifier les parcours de soins non programmés relevant de la psychiatrie en incitant à l’organisation de lieux d’accueil non programmés intersectoriels à disposition du SAMU et des urgences.

Recommandation n°32 : Accélérer dans le cadre des accords locaux Ségur les titularisations des personnels NM en poste qui donnent satisfaction.

3e objectif : reconnaître la pénibilité de l’exercice professionnel.

Recommandation n°33 : Majoration, pour l’été, de l’indemnité de sujétion de nuit et des heures de nuit pour les personnels médicaux et non médicaux, en attendant l’ouverture d’une négociation sur la reconnaissance globale de la pénibilité à l’issue de la conférence santé.

Recommandation n°34 : Majoration de l’indemnité de sujétion de week-end et des heures de weekendpour les personnels lors des deux ponts estivaux (14 juillet et 15 août).

Recommandation n°35 : Soutenir les équipes de psychiatrie, de pédiatrie et de maternité de la chaîne urgences/SNP en accordant le bénéfice de la prime de risque aux centres d’accueil et de crise (anciennement urgences psychiatriques), aux urgences pédiatriques et aux urgences gynéco obstétricales.

Recommandation n°36 : Prendre une position nationale sur attribution du budget PDSES aux urgences des établissements de santé privés.

Le 4e axe comprend 5 propositions.

Recommandation n°37 : Faciliter les admissions directes en service hospitalier en imposant à chaque établissement de santé une organisation permettant au MGL de joindre directement un spécialiste de l’établissement.

Recommandation n°38 : Mise en place obligatoire de la fonction de « bed manager » dans tous les ETS siège de SU

Recommandation n°39 : Mise en place d’une gestion territoriale des lits d’aval sous la responsabilité de l’ARS.

Recommandation n°40 : Libéraliser l’hébergement d’urgence en EHPAD en proposant que les 15 premiers jours post-hospitalisation puissent être sous le régime de l’hébergement temporaire en sortie d’hospitalisation.

Recommandation n°41 : Améliorer le recours à l’hospitalisation à domicile, notamment par l’évaluation HAD systématique à l’entrée en EHPAD et le développement de l’HAD comme alternative à l’UHCD (implantation d’un personnel de liaison HAD au SU).

Une réflexion sur “Urgences : la bonne ordonnance ?

  • Pour cette première phase urgente, l’essentiel touche les fonctions voire les rémunérations et l’organisation ou la réorganisation de services. Mais il faut mettre dans cet effort tous les protagonistes, avec le retour de la garde pour les médecins de ville (comme les ambulanciers agréés privés), de même pour les infirmières-infirmiers libéraux (comme pour les pharmaciens).
    Retour des ambulances dans les hôpitaux pour assurer les sorties après hospitalisations, tâche comprise dans un forfait global de soins (à déterminer). Les ambulanciers privés doivent traiter les interventions à domicile. Ce n’est pas la rôle des sapeurs-pompiers qui ne sont pas des “bonnes à tout faire” ! Les bulletins n° 59 (2011) et 60 (2022) du CAPSU reprennent ces propositions et d’autres… Mais on parle ou on agit souvent de la désert ! Didier BURGGRAEVE – président du CAPSU.

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