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Livre Blanc de la sécurité intérieure 2020 : la sécurité civile de demain ?

Publié le 16 novembre, le Livre Blanc sur la sécurité intérieure veut « prendre en compte les enjeux de la sécurité intérieure du 21e siècle ». Les problématiques liées à la sécurité civile y figurent désormais en bonne place au milieu de celles de la police ou de la gendarmerie. Même si certains enjeux paraissent parfois très éloignés les uns des autres, face aux nouvelles crises systémiques qui se présentent, les acteurs de la sécurité civile ne peuvent plus être isolés.

Fier d’émettre « plus de 200 propositions », le Livre Blanc sur la sécurité intérieure se qualifie lui-même de document de prospective. Les auteurs de ce rapport ont donc astiqué leur boule de cristal pour tenter de savoir ce que l’avenir nous réserve. Et tenter ainsi de s’y préparer. Au gré des 332 pages qui composent le Livre Blanc, un large éventail de sujets est abordé. La sécurité intérieure concentre des missions variées autour desquelles gravitent un certain nombre d’acteurs : forces de police, gendarmerie et sécurité civile. Le Livre Blanc livre ainsi des pistes d’amélioration sur des sujets aussi variés que la lutte contre le proxénétisme chez les mineurs, le trafic de drogue ou la défense du volontariat chez les sapeurs-pompiers (n’y voyez aucun rapport direct). La première conclusion à tirer après lecture de ce rapport pourrait ainsi être la suivante : il ne serait pas inopportun d’apprécier à l’avenir les missions de sécurité civile en tant que telles, voire des les articuler avec celles de la Santé plutôt qu’avec celles des forces de l’ordre… Même si des liens existent inexorablement avec ces dernières, ils sont certainement moins solides que ceux qui unissent Sécurité civile et Santé, qui n’est jamais citée (à peine évoquée) dans ce rapport.

La sécurité civile gagnera-t-elle prochainement un véritable siège autour de la table du ministère de l’Intérieur ?

Ceci étant dit, il est vrai que la mouture 2020 du Livre Blanc semble prendre, bien plus que les versions précédentes, la mesure de l’importance de la sécurité civile au sein du “continuum” de la sécurité intérieure (bien qu’il ne soit jamais fait mention des associations agréées de sécurité civile). Cette fois, on peut même dire qu’elle est pleinement intégrée, ce qui représente une évolution notable. Et pour cause, il est rappelé dès le début du rapport que « les crises se succèdent à un rythme soutenu et deviennent plus complexes » et qu’elles tendent à l’hybridation. L’impact sur les populations est grandissant, notamment le niveau d’exposition aux risques naturels (réchauffement climatique oblige), mais aussi industriels, du fait de bassins de population plus dense à proximité de zones à risque (le Livre Blanc rappelle que la France compte environ 500 000 établissements relevant de la législation des installations classées). La sécurité civile gagnera-t-elle prochainement un véritable siège autour de la table du ministère de l’Intérieur, quittant ainsi « le strapontin » qui lui est habituellement réservé, comme le laissent sous-entendre parfois certains commentaires acerbes ?

Force est de constater que sur ce sujet, le rapport pointe du doigt un fait établi :  « Le ministère de l’Intérieur ne s’est pas suffisamment organisé pour prendre en charge les sujets liés au continuum [de sécurité]. Une évolution vers une structure plus intégrée, qui serait un point d’entrée pour les partenaires, coordonnerait le travail intra-ministériel et formaliserait des doctrines et cadres d’emplois nationaux, sans se substituer aux directions métiers sur le champ opérationnel, permettrait de rendre l’Intérieur proactif et lisible ». Il est ainsi reconnu que les crises rencontrées ces dernières années, et celles à venir très certainement, sont de plus en plus systémiques et que leur nature implique un « renforcement de l’interministérialité ». D’autant que le Livre Blanc dresse un portrait de la France de demain qui n’est pas des plus réjouissants, prenant en considération une population de plus en plus vulnérable, car vieillissante et exposée à des risques qui vont croissants, dans un théâtre où les déserts médicaux se font plus nombreux… Et dans la mesure où la population tend à moins faire confiance aux informations officielles, les gestionnaires de crise ont du pain sur la planche.

Culture du risque
Aujourd’hui, seulement 27% des Français sont initiés aux gestes qui sauvent / © Sylvain Ley

L’un des enjeux est donc de continuer à développer une culture du risque pour encourager la résilience de la population. Une proposition en ce sens est formulée dans le Livre Blanc :
– organiser et généraliser au niveau local des séances de sensibilisation et d’entraînement aux risques (journées dites « japonaises »);
– former davantage aux gestes de premier secours et à l’assistance aux personnes vulnérables.

L’objectif présidentiel des 80 % de la population sensibilisée ou formée aux gestes de premiers secours avant la fin du quinquennat est toujours d’actualité. Or à ce jour, 27 % des Français seulement, soit 17,5 millions de personnes, sont initiés aux gestes qui sauvent.

Dans la droite ligne de la culture du risque s’inscrit un autre sujet impactant pour les acteurs de la sécurité civile : l’alerte. Le Livre Blanc assène la nécessité de mettre en place une alerte des populations « multicanal », utilisant tant les canaux classiques (les sirènes) que les innovations récentes ou en devenir. Si le réseau des sirènes est reconnu comme « en partie obsolescent, et géographiquement parcellaire », ce mode d’alerte reste robuste, résilient et donc pertinent. Sa rénovation ne se substitue cependant pas à d’autres vecteurs plus modernes. Qualifiant avec beaucoup de complaisance de « mitigés » les résultats du fameux SAIP (Système d’alerte et d’informations des populations) mis en place ces dernières années, le rapport s’enthousiasme plutôt pour des recherches de solutions d’alerte plus modernes. Le nouveau programme « FRAlert » voit ainsi le jour en 2020, avec pour objectif, en 2022, le déploiement effectif du service d’alerte sur terminaux mobiles : le « 112 inversé ». Mais avant de mettre en place un « 112 inversé » (comprendre adresser un message unique à un bassin de population présent dans une zone à risque), faut-il encore mettre en place un 112 unique. Sur ce plan, le Livre Blanc affirme que « La France doit être en mesure de proposer aux usagers du service public de secours et de sécurité un système plus simple et plus lisible au travers du numéro unique 112 à l’instar de la plupart de ses voisins européens ». Il est notamment rappelé l’importance de « mettre en place une plateforme de « débruitement » commune forces de sécurité/services de secours pour optimiser les appels d’urgence. » Cela est dit… mais reste à faire (à une autre échelle que la simple expérimentation).

Carences ambulancières

Passons aux sujets qui fâchent. Un long paragraphe est consacré aux carences ambulancières. Paragraphe si convaincant que l’on pourrait se demander s’il n’a pas été directement commandé à la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. En résumé, il y est rappelé que « Le secours d’urgence à personnes (SUAP) représente en moyenne 80% de l’activité des services d’incendie et des secours (SIS). Il s’agit d’un volume d’activité jamais atteint, avec une progression de près de 50% du nombre d’interventions en dix ans. » Cette augmentation est devenue un problème opérationnel majeur pour les sapeurs-pompiers. Au coeur de ce problème, les missions non-urgentes ou carences ambulancières, soit 10 % des missions réalisées par les SIS, qui « concourent à une perte de sens dénoncée par l’ensemble des acteurs de la sécurité civile ». Les propositions pour palier à ce problème sont ainsi exprimées dans le Livre Blanc :

Les missions non-urgentes représentent 10% de l’activité des SIS / © Sylvain Ley

– Donner une définition légale de la carence ambulancière, permettant de mieux la définir juridiquement et, le cas échéant, de requalifier comme telle une intervention ex-post.
– Mettre à plat le coût réel des carences ambulancières pour qu’elles soient prises en charge au juste prix.
– Élargir cette réflexion sur l’usage de moyens de la sécurité civile, comme les hélicoptères, pour le transport inter-hospitalier qui, a minima, doit donner lieu à remboursement.

Sur ce sujet, il ne semble pas que les ambulanciers aient été consultés…

Outils numériques, intelligence artificielle et technologies prédictives

Le Livre Blanc fait la part belle aux nouvelles technologies, notamment du numérique. L’amélioration de la connectivité, sous toutes ses formes, apparaît comme un enjeu important pour le ministère de l’Intérieur et ses différents services. L’usage de l’intelligence artificielle, des technologies d’analyse automatisée du langage écrit sont les outils de demain. Ces derniers permettront de procéder à l’analyse et à l’extraction de contenus, et traiteront des volumes d’informations qu’il serait inimaginable de traiter humainement. Des expérimentations en ce sens vont voir le jour afin « d’améliorer la gestion de l’alerte et la détection rapide de situations dangereuses non signalées aux centres opérationnels », en utilisant particulièrement les informations en sources ouvertes librement accessibles sur les réseaux sociaux.

Toujours dans dans la sphère des outils numériques, le rapport fait un point sur le déploiement de NexSIS et ses finalités. On peut y lire notamment que « La plateforme numérique des secours de nouvelle génération, NexSIS, offrira de nouveaux moyens d’échange de données résilients et interopérables qui seront des vecteurs de progrès dans la conduite opérationnelle. Les sapeurs-pompiers volontaires pourront plus facilement déclarer leur disponibilité et gérer la compatibilité entre leur activité professionnelle principale et leur engagement civique. La communication et le partage d’information, ainsi que la gestion constante des paramètres de sécurité des personnels engagés, sera facilitée par une connectivité renforcée en mobilité, qu’il s’agisse de terminaux individuels ou d’équipage ou de connectivité directe des équipements d’intervention ».

Intervenants du futur
Une expérimentation “lunettes et casques connectés” sera renouvelée dans les cinq ans / © Sylvain Ley

Quelques évolutions techniques sont enfin mises en avant dans le rapport et notamment des équipements futuristes actuellement en test, comme le gilet tactique et les tenues d’intervention connectées intelligentes. Ces équipements opérationnels auraient pour objectifs « d’améliorer l’ergonomie des équipements connectés avec l’idée d’unifier dans un gilet la connectivité et la gestion de l’énergie des équipements, et d’augmenter la sécurité de l’agent sur le terrain en facilitant le déclenchement d’alertes multicanales (phonie, caméra, identification et géolocalisation) mais aussi en travaillant à leur automatisation progressive via des capteurs spécifiques. » Le besoin pour les sapeurs-pompiers de bénéficier d’une forme de géolocalisation au sein des espaces intérieurs, couplée à des cartographie numérisées en trois dimensions pourrait être assouvi par ces nouvelles technologies. De nouvelles tenues intégrant des capteurs de données physiologiques pour augmenter la sécurisation des personnels est une autre finalité. Proposition est ainsi faite de renouveler dans les cinq ans à venir une expérimentation « lunettes et casques connectés » sur la base d’équipements dont l’ergonomie aura été spécialement étudiée pour le confort opérationnel en projection. Dans le même chapitre, un volet prend en compte le développement de véhicules connectés, qui remplaceraient à terme le simple vecteur de transport par “un poste de travail mobile complet et autonome”.

Formation 3.0
Les technologies de simulation seront à l’avant-garde de la formation / © Nicolas Beaumont

Le Livre Blanc insiste enfin sur la nécessité de faire évoluer la formation des acteurs de la sécurité civile, en utilisant notamment les technologies de simulation (réalité virtuelle et augmentée). «  Cette voie présente un intérêt crucial pour les agents puisqu’elle permet de répondre en partie au besoin de maintien des acquis et aux obligations d’adaptation des savoir-faire en fonction des nouveaux risques ou menaces ». Rappelons cependant que dans le domaine de la sécurité civile, de plus en plus d’acteurs s’entendent sur le fait que la formation « sur le terrain » ne doit pas être abandonnée au profit de la simulation. Cette dernière n’est donc pas à enterrer sous une montagne de 0 et de 1.

Bien entendu, les propositions énoncées dans ce rapport ne sont en aucun cas des « mesures » applicables. Elles dénotent simplement des directions que prennent ou sont susceptibles de prendre les intervenants d’aujourd’hui pour assumer les missions de sécurité civile de demain. Il va sans dire que le vent souffle très nettement dans le sens d’une numérisation des services et de l’utilisation de technologies connectées et de plus en plus complexes. Souhaitons alors que ces propositions ne soient, au final, pas trop « déconnectées » de la réalité du terrain.

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