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Arrêt cardiaque dans la Vallée d’Ossau : intérêt d’un défibrillateur en refuge

Auteurs : Thibaut Albert et Alex Chanteclair (texte et photos)

Comme beaucoup de Français suite au déconfinement, Monsieur P. a décidé de profiter le 18 juillet 2020 de la nature et des grands espaces, choisissant la Vallée d’Ossau pour randonner et admirer les lacs d’Ayous, avec sa fille et son gendre.

Dans ce cadre magnifique, le sexagénaire commence à ressentir des premières difficultés : précordialgies (douleurs thoraciques), essoufflement, et malaise général. Ces symptômes forcent une halte au refuge d’Ayous (1980 mètres). Après s’être hydraté et restauré, il décide finalement de reprendre la descente.

A 15h30, premier malaise

Notre groupe de trois randonneurs, dont deux médecins, croise sa route. La pente est raide, le chemin étroit serpente la vallée. Arrivant à son niveau, il s’effondre sous nos yeux et chute en contre-bas. Nous constatons un malaise syncopal, puis une crise tonico-clonique généralisée, avec vomissements. Il est aussitôt installé en position latérale de sécurité (PLS). Après quelques minutes, et une phase post-critique, nous observons un retour à la normale. En parallèle, nous essayons d’alerter le SAMU. Nous rencontrons d’importantes difficultés : manque de couverture téléphonique (passant tantôt via le 112 espagnol, tantôt par le 15), saturation auprès des opérateurs, car plusieurs promeneurs téléphonent eux-mêmes aux secours.

Un premier contact est établi en téléconférence avec le SDIS et le PGHM. Ils ne nous entendent pas, et ont pour seule information « crise convulsive chez un randonneur ». 

Un premier contact est établi en téléconférence avec le SDIS et le Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM). Ils ne nous entendent pas, et ont pour seule information « crise convulsive chez un randonneur ». On nous informe des difficultés d’hélitreuillage, en ce jour de forte affluence en montagne. Nous sollicitons aussi une aide auprès du refuge, et obtenons une trousse d’urgence et un défibrillateur semi automatique (DSA).

Après cette première alerte, nous effectuons l’anamnèse. Cet homme, âgé de 62 ans, révèle plusieurs facteurs de risque et antécédents cardio-vasculaires : diabète de type 2, hyper tension artérielle (HTA), tabagisme actif, coronaropathie ischémique stentée. Il nous rapporte une inobservance de son suivi (test d’effort préconisé, non réalisé). Il n’est pas épileptique connu.

A 15h45, nouveau malaise

Crise tonique, perte de contact, puis rapidement atonie, cyanose : la victime présente un arrêt cardiorespiratoire (ACR). Débutent immédiatement les manœuvres de réanimation : massage cardiaque, pose du DSA.

Plusieurs randonneurs se proposent et nous relaient dans la réanimation cardio-pulmonaire (RCP), qui s’effectue ainsi sans interruption.

Étant tout proche d’un passage très fréquenté, plusieurs randonneurs se proposent et nous relaient dans la réanimation cardio-pulmonaire (RCP), qui s’effectue ainsi sans interruption. Nous réalisons au total trois chocs électriques externes (CEE). Au troisième, est constaté un retour à la conscience. Monsieur P. reprend un pouls, recolore, et nous arrêtons le massage après neuf minutes. Nous injectons en intramusculaire du Diazepam, à visée anti-convulsivante.

A 16h00, deuxième contact établi avec les secours

Un randonneur suédois se précipite et nous tend un téléphone : « médecin ! ». Nous parvenons enfin à parler au médecin régulateur du SAMU : le patient, initialement annoncé comme une atteinte neurologique aiguë, est plus vraisemblablement victime d’une défaillance cardiaque sur un angor instable, évoluant depuis plusieurs heures. L’hélicoptère du PGHM est déjà en intervention. Il doit ensuite récupérer le médecin SMUR à Pau, et nous rejoindre. Le délai annoncé est de 45 minutes.

Il fait chaud, nous sommes au milieu d’une pente très ensoleillée. L’instabilité hémodynamique nous empêche de déplacer le patient vers une zone ombragée. Il sera protégé par une couverture de survie. Nous le rassurons, ainsi que ses proches, et espérons que la situation reste stable. Rapide coup d’œil à la trousse médicale du refuge : des ampoules d’adrénaline, un sachet d’acide acétylsalicylique et d’autres médicaments per os.

A 16h45, arrivée du SMUR/PGHM

L’hélicoptère dépose deux gendarmes et le médecin du SAMU à 100 mètres en haut de notre position. Le premier bilan fait état d’un choc cardiogénique (TA 60/30mmHg) compensé ; pas d’autre défaillance par ailleurs. L’électrocardiogramme retrouve des signes de souffrance myocardique antérieure étendue. Le traitement mis en place repose sur un remplissage hydro-électrolytique, antalgie, anti-agrégations plaquettaires, et héparine. Le patient est conditionné en civière. Nous préparons cordarone et adrénaline pour anticiper d’éventuels troubles du rythme pendant le transport. A 17h25, l’hélicoptère, sur un appui patin, embarque l’équipe et s’envole vers le CH de Pau. Pendant le transport, M. P. présente à nouveau des troubles du rythme, avant l’arrivée à 17h45. Il entre directement en salle de coronarographie, où est effectuée une thrombo-aspiration d’un thrombus intra-stent. Il passe en chambre à 20h00.

Discussion

M. P aura donc fait un syndrome coronarien aigu (SCA) avec sus-décalage du segment ST, compliqué de troubles du rythme graves. Le succès de la prise en charge a résidé dans la présence d’un DSA à proximité.

L’utilisation des DAE par le grand public est possible depuis le décret du 4 mai 2007 (1). La plupart des ACR sont dus à des fibrillations ventriculaires (FV) ou à des tachycardies ventriculaires (TV) sans pouls. Ces rythmes conduisent à une activité cardiaque non efficace, jusqu’à l’arrêt circulatoire clinique. L’utilisation d’un DSA, dans les premières minutes de l’arrêt, permet une reprise d’activité cardiaque spontanée (RACS), et augmente significativement le taux de survie post-ACR. L’ischémie myocardique représente plus de 80 % des cas de mort subite causée par une FV.

Les patients souffrant d’une coronopathie sont à haut risque de récidive de SCA. Les conditions liées à l’altitude, telles que la déshydratation, l’effort intense en milieu hypoxique, et le froid, majorent ce risque

En montagne, l’incidence d’un évènement cardiovasculaire varie considérablement selon la population étudiée. La mort subite du skieur ou du randonneur en altitude constituerait la deuxième cause de décès après la traumatologie pour Burtscher (2). Les patients souffrant d’une coronopathie sont à haut risque de récidive de SCA. Les conditions liées à l’altitude, telles que la déshydratation, l’effort intense en milieu hypoxique, et le froid, majorent ce risque. Chez notre patient, une activité intense en altitude aurait été déconseillée même s’il possédait une bonne fonction cardiaque gauche et une épreuve d’effort satisfaisante (évaluant des efforts qui restent modérés) (3).

Faire un arrêt cardiaque en montagne n’est pas synonyme de mortalité plus élevée

Paradoxalement, faire un arrêt cardiaque en montagne n’est pas synonyme de mortalité plus élevée. Une analyse (4) du registre des arrêts cardiaques sur piste de ski du Réseau Nord-Alpin des Urgences (RENAU) de 2004 à 2014 montre que la qualité de la formation des secouristes alpins, la précocité du premier CEE, et une gestion optimale des moyens héliportés, assurent un taux de survie meilleur que celui de la population générale.

« C’est la réponse communautaire à l’ACR qui va réanimer le patient. » Les mots du Pr Carli, responsable du SAMU de Paris illustrent parfaitement ce cas : la précocité de l’établissement du premier maillon de la chaine de secours conditionnera le succès du sauvetage du patient.


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