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Déconfinement : l’avis des professionnels

Le 11 mai, la France a accompli un premier pas vers le déconfinement. Comment cette première étape vers le « monde d’après » est-elle perçue par les responsables de services d’urgence, eux qui ont été en première ligne pour faire face à l’épidémie ? Secours Mag leur a posé la question.

Le déconfinement a commencé. Va-t-il marquer le début d’une (longue) sortie de crise ? Ou générer de nouvelles contaminations massives risquant d’entrainer un reconfinement ? L’incertitude demeure. D’autant qu’avant même le 11 mai, quatre nouveaux clusters ont été identifiés en Dordogne (24) dans la Vienne (86), en Vendée (85) et dans les Hauts-de-Seine (92), tandis qu’un nouveau foyer a été signalé à partir du 11 mai dans le Tarn (81). 

La France emprunte-t-elle le même chemin que l’Allemagne et la Corée du Sud qui ont entamé leur déconfinement et enregistré une augmentation significative de nouveaux cas de Covid-19 ? Dans les faits, les autorités n’excluent pas un reconfinement en urgence en cas de résurgence de l’épidémie, comme le mentionne dans son rapport Jean Castex, le « Monsieur Déconfinement » du gouvernement.

De leur côté, comment les responsables de services d’urgence qui ont pris en charge les malades du Coronavirus perçoivent-ils la situation ? Selon eux, le confinement a-t-il été efficace ? Survient-il au bon moment ? Craignent-ils une seconde vague ? Et comment voient-il la suite ?  

 

Des avis divergents

Pour le Pr Frédéric Adnet, chef du service des urgences de l’hôpital Avicenne situé à Bobigny en Seine-Saint-Denis (93) le déconfinement n’est pas prématuré. « Nous avons constaté une décroissance rapide des admissions aux urgences avec une situation qui est revenue aujourd’hui à la normale. » Le déconfinement semble donc avoir fait ici son office.

Même constat pour le Dr Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) qui exerce au centre hospitalier de Pontoise (95). « Le déconfinement intervient au bon moment suivant les courbes d’évolution de l’épidémie ; mais bien sûr tout repose sur la population : il faut que chacun soit vigilant et respecte les mesures barrière pour ne pas risquer de voir une augmentation d’activité Covid dans les services d’urgence et de réanimation. »

Si l’Ile-de-France est la région la plus touchée par le nombre de contaminations, le Grand Est est la seconde région la plus impactée. Or pour le Dr Yannick Gottwalles, médecin chef du Pôle Urgences Pasteur de Colmar (68), le déconfinement arrive trop tôt. « Il n’y a pas eu au départ un véritable confinement strict. Si les deux premières semaines les recommandations ont été globalement bien appliquées, il y a eu ensuite du relâchement qui a atteint son paroxysme après l’annonce du déconfinement le 11 mai. »

Face à cette situation, le médecin urgentiste craint-il une deuxième vague ? Ces services auraient-ils les moyens de faire face ? « Les services d’urgence sont prêts pour une seconde vague mais les services d’aval ne le sont pas, notamment les réanimations. Il faut bien comprendre que la seconde vague est déjà là. En effet, nous avons eu une montée massive et rapide de l’activité pendant un peu plus de trois semaines, puis un plateau d’une semaine suivi d’une descente importante ; mais cette diminution du nombre de patients s’est arrêtée avec l’émergence d’un second plateau qui démontre que le virus est toujours en circulation et actif dans la région Grand-Est. »

La situation est d’autant plus complexe que les tableaux du Covid-19 ont évolué.  « Les tableaux ne sont plus respiratoires au premier plan, mais surtout cardiologiques, dermatologiques, neurologiques… Des profils cliniques très polymorphes, qui se mélangent à des patients venant pour des décompensations de pathologies chroniques qui avaient disparu de nos services pendant quelques semaines. Et il y a toujours actuellement deux types de flux : les suspects de Covid et les non Covid, en sachant que la limite entre les deux reste très obscure ! »

 

La crainte d’une recrudescence ?  

De manière générale, les médecins urgentistes craignent-ils l’arrivée d’une seconde vague de patients covid-19 ? Là encore les avis divergent. « Pour nous, la deuxième vague réside dans l’arrivée massive de patients non covid présentant des pathologies décompensées de type diabète, insuffisance cardiaque, etc. », explique le Pr Adnet.

Si elle s’attend à une augmentation des cas de Covid-19 suite au déconfinement, le Dr Ricard-Hibon dit avoir confiance dans les travaux de modélisation menés par les épidémiologistes et les virologues. « Encore une fois, tout est lié au R0 : le taux de reproduction du virus qui dépend du respect des mesures barrières. Si néanmoins il devait y avoir une recrudescence des contaminations, les services ne seraient pas pris de court. Nous n’avons pas désarmé nos capacités hospitalières, et nous serions capables de rouvrir très rapidement les salles de crise et de débordement COVID au SAMU-Centre 15 et l’extension des réanimations. »

Il n’en reste pas moins que de nombreux services sont encore surchargés au-delà de leur capacité normale. Un point qui inquiète le Dr Yannick Gottwalles qui dit craindre l’émergence d’une troisième vague suite au déconfinement « tant que les capacités hospitalières ne sont pas revenues dans une disponibilité de lits comparable à celle avant la pandémie. Il y avait 5 000 lits de réanimation en France. Ce chiffre est passé à près de 7 300 et il y a actuellement environ 3 900 patients COVID+ en réanimation (au 4 mai contre 2 428 au 13 mai) sur environ 6 000 patients en réa. Pour envisager le déconfinement, il faudrait qu’il y ait moins de 2 000 patients au total COVID+ et non COVID en réa, ce qui laisserait une marge suffisante sur les 5 000 lits présents. »

 

Post-déconfinement : une stratégie efficace ?

Les mesures gouvernementales se fondent sur trois prérequis : protéger, tester, isoler. L’objectif du ministre de la Santé en matière de tests est de parvenir à 700 000 tests par semaine. « Mais comment tester quand il n’y a pas suffisamment de moyens ? Au 4 mai, nous étions à 250 000 tests par semaine en regroupant tous les moyens. Tester 700 000 personnes est matériellement impossible ! Quand il y a les écouvillons, il n’y a pas les réactifs, ni les personnels pour réaliser les tests ou les analyses, et encore moins les automates disponibles, généralement fabriqués en Chine, en Allemagne ou aux Etats-Unis ! », s’alarme le Dr Gottwalles.

En matière de « tracking » des patients contaminés et des personnes contact, des brigades sanitaires ont été déployées. « Il faut que dès l’appel au 15 selon les signes cliniques indiqués par le patient, on puisse intégrer une déclaration précoce aux structures d’appui sanitaire. Cette détection en amont doit permettre de gagner du temps afin de ne pas perdre 36h ou 48h pour avoir les résultats de tests avant de lancer les mesures d’aide à la limitation d’extension des clusters », explique le Dr Ricard-Hibon.

 

Quel hôpital demain ?

A l’heure d’évoquer l’avenir et les enseignements tirés de cette crise, les professionnels de l’urgence préviennent : l’hôpital de demain ne pourra pas être celui d’aujourd’hui.

« La pandémie ne répond pas aux critères de la loi du marché ! Elle se moque de l’état des stocks et de ce que coûte un stock. Elle se moque du nombre de lits disponibles et du nombre de personnels soignants formés. Il faut comprendre que la santé ne peut pas être rentable, que la santé a un coût certain et ne répond pas aux lois de gestion d’une entreprise. Il faut accepter d’avoir des activités non rentables sur quelques mois pour pouvoir absorber une suractivité dans de bonnes conditions », relève le Dr Gottwalles.

Si le Dr Ricard-Hibon se félicite de la capacité d’adaptation et d’innovation du système de santé, et de la mobilisation exceptionnelle de tous ses acteurs qui ont permis aux services hospitaliers de ne pas être dépassés par la vague épidémique, la présidente de la SFMU attend également des évolutions. « Nous espérons que les professionnels de santé ne seront pas oubliés. Il faut que l’hôpital de demain dispose d’une évolution des organisations hospitalières avec le Service d’accès aux soins (SAS) et les mesures d’amélioration de l’hospitalisation en aval des services d’urgence et un nombre en lits de réanimation en adéquation avec les besoins. »

Le message est passé. Reste à savoir si la crise aura donné plus de poids aux professionnels de l’urgence et aux soignants en général. Seul l’avenir le dira…

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