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Cas clinique #39 : prise en charge d’une victime de noyade

La sonnerie de l’ambulance de réanimation retentit en ce début de soirée d’une chaude journée du mois de juillet à Marseille (13). L’ordre de mission précise : intervention pour victime de noyade en mer dans les quartiers sud de la ville.

Texte : Dr Dominique Pons

 

A notre arrivée sur les lieux une quinzaine de minutes après notre départ, le chef d’agrès du VSAV nous présente la situation et la victime : une femme de 55 ans retrouvée flottant sur le ventre en bordure de plage. Les témoins qui l’ont rapidement sortie de l’eau disent « qu’elle moussait et vomissait ». Sur recommandation du médecin régulateur du centre 15, la victime a été installée en PLS. Le chef d’agrès a maintenu cette position, a administré de l’oxygène à la victime en utilisant le masque à haute concentration avant de la sécher puis l’envelopper dans une couverture de survie pour limiter son refroidissement. La victime est somnolente, son pouls bat à 120/mn, la tension artérielle est de 170/100 mm de Hg, la SpO2 est à 90 % sous un débit d’oxygène de 9 l/mn. Pendant que j’examine la patiente, l’infirmier met en place une voie veineuse périphérique et débute un remplissage avec une poche de 500 ml de chlorure de sodium (NaCl). La patiente qui se plaint de céphalées, présente un score de Glasgow à 13 (Y3, V4, M6), une température à 36.2°C, une glycémie capillaire à 11,11 mmol/l et l’auscultation objective des râles crépitants sur les deux champs pulmonaires. Outre les troubles de la conscience, l’examen neurologique est sans particularité. Nous décidons de finir le conditionnement de la victime dans l’ambulance de réanimation qui se trouve à une centaine de mètres. Dans l’ambulance, je décide de mettre en place une Ventilation non invasive (VNI) à l’aide du respirateur de transport en mode VS-AI-PEP. Je débute avec une aide inspiratoire à 5 cm d’H2O et une pression expiratoire positive également à 5, tout en maintenant le masque manuellement pour pouvoir agir rapidement en cas de vomissements. La fraction inspirée en oxygène (FiO2) est réglée à 100 %. La patiente supporte bien ce mode de ventilation, ce qui permet de fixer le masque à l’aide d’une araignée et d’augmenter progressivement les réglages pour arriver à une aide inspiratoire de 16 cm d’H2O (PEP + ΔAI). L’état clinique de la victime s’améliore rapidement, la SpO2 est à 100 % et l’état de conscience est complètement normal. Après avoir transmis le bilan de la victime au centre 15, cette dernière est transportée en service de réanimation. Durant le transport, l’état de la victime reste stable malgré un épisode de diarrhée impérieuse. La VNI sera poursuivie pendant quelques heures puis la patiente sera transférée le lendemain matin en service de soins et sortira sans séquelles quelques jours plus tard.

 

Ce qu’il faut faire :

  • Dégager la victime de l’eau en assurant sa sécurité

  • Débuter la RCP par 5 insufflations en cas d’arrêt cardiaque

  • Administrer de l’O2 pour maintenir une SpO2 entre 94 et 98 %

  • Intuber une victime noyée précocement si une ventilation mécanique est nécessaire

  • Drainer l’estomac de la victime si elle est intubée (sonde gastrique)

Ce qu’il ne faut pas faire :

  • Essayer de faire sortir l’eau des poumons en comprimant l’estomac

  • Essayer de réaliser des compressions thoraciques dans l’eau

  • Retarder le dégagement d’une victime noyée en arrêt cardiaque sous prétexte qu’il existe une suspicion de lésion du rachis

  • Ne pas réchauffer la victime lorsqu’elle est hors de l’eau

 

Discussion du cas clinique

La noyade est un processus résultant d’une insuffisance respiratoire provoquée par la submersion ou l’immersion en milieu liquide. La conséquence majeure et la plus néfaste de la noyade est l’hypoxie et la durée de cette hypoxie est le facteur essentiel qui conditionne le devenir des victimes. C’est pourquoi, l’oxygénation et le rétablissement d’une ventilation et d’une circulation efficace sont importants. Dans ce cas, il s’agit d’une noyade de grade 3 dans la classification de Szpilman. La victime est consciente, présente des râles pulmonaires diffus et la pression artérielle est normale. Les conséquences secondaires à redouter sont liées aux effets pulmonaires de la noyade : altération du surfactant, collapsus alvéolaire, atélectasies, effet shunt intra-pulmonaire et aux complications infectieuses. Il faut souligner l’intérêt de la VNI qui est indiqué à ce stade si elle est possible. Elle a vite amélioré cette patiente même si la somnolence aurait pu, dans notre cas, rendre difficile cette technique. Chez une victime de noyade, il est important aussi de lutter contre le refroidissement généré par la perte de chaleur par conduction dans l’eau, par convection hors de l’eau et par l’eau froide ingérée. Un remplissage vasculaire adapté est nécessaire chez ces patients souvent hypovolémiques du fait aussi de la vasodilatation secondaire au réchauffement et des troubles digestifs secondaires à l’ingestion d’eau de mer. Une alerte précoce et le dégagement de la victime de l’eau, la prise en charge secouriste et médicale rapide, une thérapeutique adaptée au grade de la noyade et l’accueil de la victime dans un service adapté sont la clef de la réussite.

 

Chiffres clés

Dans le monde

  • 372 000 décès par an dans le monde par noyade

  • Touche plus particulièrement les hommes

  • 1ère cause de décès chez l’enfant de sexe masculin en Europe

  • La consommation d’alcool est un facteur favorisant rencontré dans plus de 70 % des décès par noyade

  • La noyade chez le sujet âgé est en augmentation (> 70 ans)

En France (enquête noyade INVS de juin à septembre 2015)

  • 1 266 noyades accidentelles, 500 décès accidentels par an

  • 18 % d’enfants de moins de 6 ans, 46 % d’adultes de plus de 45 ans

  • 50 % en mer, 19 % en piscine privée, 12 % en cours d’eau, 10 % dans un plan d’eau.

 

Dominique Pons

Dr Dominique Pons

Médecin territorial urgentiste exerçant depuis plus de 20 ans au Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) du Bataillon de marins-pompiers de Marseille, le Dr Dominique Pons participe aux diplômes universitaires de médecine de catastrophe et de médecine d’urgence en milieu maritime et développe au BMPM les techniques d’enseignement par simulation.

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