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Cas clinique #43 : troubles de la repolarisation et hémorragie méningée

Une femme âgée de 41 ans, sans antécédents a présenté un ACR brutal précédé de quelques mouvements tonico-cloniques à la terrasse d’un glacier. Un médecin sur place pratique immédiatement une RCP de base (no-flow = 0).

Texte : Dr Mourad Benlhasen

A l’arrivée des secours, la pression artérielle est à 120/50 mmHg. Le pouls radial est filant à 220 bpm, la SpO2 est à 100 % et le score de Glasgow à 3. Les pupilles sont en mydriases aréactives, sans aucun signe de réveil. Aucun choc électrique externe n’est délivré par les secouristes. Une intubation orotrachéale (IOT) est pratiquée par l’équipe médicale et montre une EtCO2 initiale à 35 mmHg. Pendant le transfert de la patiente, quatre épisodes d’ACR se reproduisent successivement avec une reprise d’une activité cardiaque spontanée (RACS) après un milligramme d’adrénaline IV. L’ECG montre une tachycardie supra ventriculaire avec BBD et un sous décalage du segment ST en antérieur (Fig. 1). L’orientation se fait vers un service de réanimation à la demande du cardiologue. Le premier bilan biologique met en évidence une acidose métabolique (pH : 7,27), des lactates ascensionnés à 7UI, une troponine franchement positive à 24,2 UI, des CPK MB augmentés à 29,41UI, et un BNP augmenté à 600UI. Une ETT est réalisée à l’arrivée et ne montre aucun signe de cœur droit et une fraction d’éjection du ventricule gauche (FeVG) effondrée à 10 %. Le scanner cérébral avec injection pratiqué à H+2h30 retrouve une hémorragie sous arachnoïdienne (HSA) Fisher 4, un œdème cérébral bilatéral diffus, une souffrance ischémique pan cérébrale avec trois anévrysmes au niveau de la terminaison carotide interne gauche, la carotide interne droite intra-caverneuse et à la jonction M1/M2 gauche. Le doppler trans crânien met en évidence une diastolique à 0 de façon bilatérale. Malgré une réanimation correctement menée, l’état de mort encéphalique de la patiente est confirmé le lendemain par le scanner.

Discussion du cas clinique

Dans la littérature, Wilbert S. Aronow (1) avec une étude monocentrique de 101 patients et Athar N. Malik avec un travail monocentrique sur 301 patients (3) retrouvent plusieurs catégories de manifestations cardiaques liées à la NSM (Neurogenic stress myocardiopathy). On retrouve en premier lieu des anomalies ECG (66 % des cas) (1) avec sous décalage du segment ST (17 %) (1), une tachycardie sinusale (16 %), une inversion des ondes T (5 % à 16 %) (1,3), ou une arythmie de type tachycardie ventriculaire (5 % des cas). Une autre étude rapporte des tachycardies de type supra ventriculaires (2 %) (4). Dans la littérature, ces modifications ECG peuvent être associées à des HSA plus graves (5,6). On note également comme manifestation cardiaque liée à la NSM une élévation de la troponine dans un contexte de souffrance myocardique (20 – 40 % des cas) (7,8), avec un pic à J1-2, ainsi qu’une élévation des BNP (9). Enfin, la dernière catégorie d’anomalies cardiaques secondaires à une NSM réside dans la dysfonction ventriculaire gauche (10,11) (8-27 % des cas), alors que la méta-analyse de Van De Bilt retrouve des anomalies segmentaires transitoires (13 à 31 % des cas) (12). Dans l’étude de Aronow, la FeVG était également altérée, variant entre 32 et 45,5 % (1). Il est à noter que l’un des facteurs favorisants de survenue de dysfonction ventriculaire gauche est le sexe féminin (3). De même, la littérature rapporte comme autres facteurs de risque de NSM le tabagisme actif, la présence d’hypertension, l’âge et la sévérité de l’hémorragie méningée (3). La physiopathologie de l’ensemble de ces mécanismes est résumée par le schéma de Wilbert S. Aronow (1) (Fig. 2). Le cas clinique décrit précédemment présentait l’ensemble des manifestations cardiaques liées à la NSM. Il semble indéniable que le gros défi du médecin pré-hospitalier réside dans la reconnaissance du tableau clinique présenté par le patient puis son orientation. En effet, s’agit-il d’une manifestation cardiaque princeps, ou est-ce une manifestation cardiaque liée à une atteinte neurologique ? La présentation clinique associée aux troubles ECG peut tout à fait faire évoquer un syndrome coronaire aigu (SCA). Le risque est alors d’administrer des antiagrégants et anticoagulants, et d’orienter le patient vers une table de coronarographie en augmentant le risque d’hémorragie et en retardant la prise en charge en réanimation. A contrario, il ne faut pas non plus ignorer un authentique SCA compliqué d’ACR. C’est là toute la difficulté de la prise en charge pré-hospitalière. La difficulté de ces NSM réside dans leur prise en charge initiale et leur orientation. L’erreur diagnostique est facile et peut aboutir à l’administration de thérapeutiques inadéquates voire délétères. Une meilleure définition des groupes à risque d’évoluer vers une NSM permettrait peut-être une prise en charge plus rapide. D’autre part, l’utilisation de thérapeutiques purement cardiaques chez ces patients nécessiterait sans doute une évaluation plus approfondie.

ECG

L’ECG montre une tachycardie supra ventriculaire avec BBD et un sous décalage du segment ST en antérieur. 

 

 

Ce qu’il ne faut pas faire

  • La principale source d’erreur est de : méconnaitre l’hémorragie méningée, et de considérer à tort les troubles de la repolarisation comme une SCA St- ou St+.
  • En d’autres termes : ne pas charger en antiagrégants et/ou anticoagulants

Ce qu’il faut faire

  • Orienter vers une réanimation ou neuroradiologie et non une table de coronarographie
  • Objectifs tensionnels : si pas de troubles de la conscience, PAM au niveau habituel. Si troubles de la conscience, respect de l’HTA avec objectif de PAM a 90mmHg
  • Pour une TAS > 180 et TAD > 130, il est proposé d’utiliser de l’urapidil.
  • La nimodipine n’a pas d’indication en aigu en pré-hospitalier
  • Les complications cardio-vasculaire et rythmiques éventuelles bénéficieront de leur traitement spécifique.

NSM

Figure 2 : Physiopathologie de la NSM

 

Mourad Benlhasen

Dr Mourad Benlhasen

Urgentiste, le Dr Mourad Benlhasen est médecin principal au groupement santé du Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) depuis 2014. Adjoint au chef du pôle formations / entraînements, il a exercé de 2002 à 2014 comme praticien hospitalier au centre hospitalier de Martigues (13).

 

Références

1. Pinnamaneni S, Dutta T, Melcer J, Aronow WS. Neurogenic stress cardiomyopathy associated with subarachnoid hemorrhage. Future Cardiol. 2015;11(1):77–87.
2. Neurogenic stunned myocardium and takotsubo cardiomyopathy are the same syndrome: a pooled analysis. – PubMed – NCBI [Internet]. [cited 2017 Nov 25]. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21609386
3. Malik AN, Gross BA, Rosalind Lai PM, Moses ZB, Du R. Neurogenic Stress Cardiomyopathy After Aneurysmal Subarachnoid Hemorrhage. World Neurosurg. 2015 Jun;83(6):880–5.
4. Lleva P, Aronow WS, Amin H, Sandhu R, D’Aquila K. Clinical research <BR>Prevalence of electrocardiographic abnormalities in patients with ischemic stroke, intracerebral hemorrhage, and subarachnoid hemorrhage. Arch Med Sci. 2008 Oct 15;4(3):259–62.
5. Zaroff JG, Rordorf GA, Newell JB, Ogilvy CS, Levinson JR. Cardiac outcome in patients with subarachnoid hemorrhage and electrocardiographic abnormalities. Neurosurgery. 1999 Jan;44(1):34-39; discussion 39-40.
6. 2102.full.pdf [Internet]. [cited 2017 Nov 25]. Available from: http://stroke.ahajournals.org/content/strokeaha/43/8/2102.full.pdf
7. Cardiac troponin-I: A predictor of prognosis in subarachnoid hemorrhage — Johns Hopkins University [Internet]. [cited 2017 Nov 25]. Available from: https://jhu.pure.elsevier.com/en/publications/cardiac-troponin-i-a-predictor-of-prognosis-in-subarachnoid-hemor-4
8. Tung P, Kopelnik A, Banki N, Ong K, Ko N, Lawton MT, et al. Predictors of neurocardiogenic injury after subarachnoid hemorrhage. Stroke. 2004 Feb;35(2):548–51.
9. Tung PP, Olmsted E, Kopelnik A, Banki NM, Drew BJ, Ko N, et al. Plasma B-type natriuretic peptide levels are associated with early cardiac dysfunction after subarachnoid hemorrhage. Stroke. 2005 Jul;36(7):1567–9.
10. Lee VH, Oh JK, Mulvagh SL, Wijdicks EFM. Mechanisms in neurogenic stress cardiomyopathy after aneurysmal subarachnoid hemorrhage. Neurocrit Care. 2006;5(3):243–9.
11. Left ventricular wall motion abnormalities in subarachnoid hemorrhage: an echocardiographic study. – PubMed – NCBI [Internet]. [cited 2017 Nov 25]. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/3403818
12. van der Bilt I a. C, Hasan D, Vandertop WP, Wilde A a. M, Algra A, Visser FC, et al. Impact of cardiac complications on outcome after aneurysmal subarachnoid hemorrhage: a meta-analysis. Neurology. 2009 Feb 17;72(7):635–42.

 

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