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Cas clinique #38 : Appel au 15 pour une personne empalée au niveau de l’abdomen

Fin d’après-midi, le bip du SMUR résonne. C’est le début d’une intervention en moyenne montagne pour une personne qui a chuté d’un toit et s’est empalée au niveau de l’abdomen.

Sur place, les premiers intervenants – sapeurs-pompiers volontaires – nous mènent jusqu’à la victime. A l’arrière d’une ferme, un trou dans le toit en sous pente. Un chemin très exigu nous conduit jusqu’à notre patient. A plat dos, celui-ci est transpercé au niveau de l’abdomen par un fer à béton. Nous devons d’abord assurer notre propre sécurité. Le port de casques et de gants de protection est nécessaire car les tuiles sont instables, et la zone en cours de sécurisation. Après un rapide bilan d’évaluation de la situation environnementale et des actions en cours avec le chef d’agrès (sécurisation et manœuvres de dégagement), nous approchons de notre victime avec précaution et le matériel minimum en raison de la zone de travail très étroite. Transpercée par une tige métallique en para-ombilical qui ressort sur 30 cm, la victime est consciente. L’accident a eu lieu 50 minutes avant que son épouse ne le trouve et appelle. Après la prise en compte des dangers pour notre équipe, l’anticipation des demandes de renforts spécialisés (GRIMP/SD) et des moyens matériels nécessaires (barquettes, pinces, etc.), une première évaluation rapide de l’état du patient est réalisée suivant le mode ABCDE. Le bilan : conscient, G15, algique, hémodynamiquement stable (TA=12/7), pas de tachycardie, pas d’hypothermie, pas d’autre lésion visible. Nous établissons ensuite avec les pompiers et leur chef de groupe une idée de manœuvre. Il faut « toujours faire vite et ne pas nuire ». Il est décidé, après dégagement des débris, de couper la barre au-dessus et au-dessous du patient, de le relever et de le poser en décubitus latéral gauche sur la barquette en contrôlant chaque mouvement pour que la tige ne bouge pas. La clé de la survie réside dans l’absence de retrait du corps étranger qui aurait sans doute conduit à une hémorragie fatale. La stratégie de prise en charge médicale consiste en outre à réchauffer la victime, la garder consciente autant que possible, de gérer sa douleur par kétamine et morphine (pour contrôler nos actions entreprises avec peu de matériel), et de traiter l’hypovolémie par la suite avec remplissage et noradrénaline. Un bilan précoce est transmis au médecin régulateur pour lui expliquer la situation, l’informer d’une intervention longue, discuter du meilleur transport (héliporté) et de la destination la plus adaptée (arrivée rapide sur un centre avec DZ, déchoquage et chirurgie vasculaire disposant d’une circulation extra corporelle (CEC) si besoin). Le transfert direct par Dragon 67 du site vers le CHU est retenu. L’épouse de la victime est informée au fil de l’eau des manœuvres et de l’état de son mari, jusqu’à son embarquement dans l’hélicoptère. Au CHU, le patient arrive au déchoquage avec une TAS à 60 mmHg sous noradrénaline, et une anémie à 8g/L. Il est transféré directement au bloc opératoire, et à la laparotomie les chirurgiens découvrent que la tige transperce l’intestin grêle, mais aussi l’aorte abdominale sous le tronc cœliaque ! Les chirurgiens suturent l’aorte sous CEC avec résection de plusieurs centimètres de grêle. A J15, la victime sort de réanimation, après récupération totale des fonctions (rénale, digestive, et circulatoire), et reprendra après six mois toutes ses activités.

 

La clé de la survie réside dans l’absence de retrait du corps étranger.

 

 

Discussion du cas clinique

Cette intervention reste exceptionnelle à plusieurs points de vue : lieu d’intervention, nature de la lésion transfixante de l’aorte et évolution sans séquelle. Elle aura mobilisé en pré-hospitalier plus de 20 personnes, 8 véhicules du SDIS, un commandement jusqu’au chef de colonne, un équipage SMUR et Dragon 67. L’intervention s’est effectuée en parfaite collaboration avec le Commandant des opérations de secours (COS) et chaque acteur y a trouvé sa place et son rôle. La régulation du SAMU 68 a pris la meilleure décision pour le patient et permis le transfert le plus rapide dans l’hôpital le mieux adapté à cette lésion. L’issue extrêmement favorable de cette intervention difficile et à haut risque tient à l’efficacité, à la coordination de toute la chaine de secours et à la complémentarité de tous les acteurs. Cela n’a pu être possible que par la connaissance du travail et des moyens disponibles de nos partenaires.

Dr Claudia Brun-Chatelus avec la contribution du Dr Sophie Pincemaille

 

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