Cas cliniqueSecours Mag

Cas clinique #40 – Orage rythmique : plus de 80 chocs délivrés !

Le 25 mai dernier, le SAMU du Haut-Rhin (68) reçoit un appel pour un patient qui présente une douleur thoracique. Une longue prise en charge s’engage. La victime se verra notamment administrer plus de 80 chocs électriques externes.

Texte : Dr Yannick Gottwalles

 

Agé de 68 ans, M. G présente une douleur thoracique (DT) pour laquelle sa famille appelle le SAMU. Pris en charge par le SMUR, l’examen clinique est normal chez ce patient non tabagique, présentant une petite surcharge pondérale et sans antécédent autre. La tension artérielle est stable, le pouls à 80/mn, la SpO2 à 98 % à l’air ambiant. La douleur est toujours présente, et possède les caractéristiques typiques d’une atteinte coronaire : centrale, constrictive, avec irradiation dans le bras gauche. L’électrocardiogramme enregistre un rythme sinusal régulier, sans autre anomalie notable. Du fait de la typicité de la douleur, le patient est directement adressé en centre de cardiologie en accord avec la régulation du SAMU. A son admission 18 minutes plus tard, la douleur est présente, le tracé ECG inchangé, et une échographie cardiaque est réalisée : il n’y a pas d’anomalie de contraction ventriculaire, mais survient brutalement un arrêt cardio circulatoire (ACC) sur fibrillation ventriculaire (FV). Massage cardiaque externe (MCE) immédiat sans no flow, intubation orotrachéale, défibrillations sur FV s’enchainent sur 40 minutes, avec plus de 25 chocs électriques externes délivrés (CEE) afin de recouvrir une activité cardiaque efficace. Outre le cardiologue et l’équipage SMUR, sont présents un anesthésiste, deux cardiologues hémodynamiciens et trois paramédicaux. Le patient est alors transféré en salle de coronarographie qui objective une occlusion aiguë monotronculaire de l’interventriculaire antérieure, qui bénéficie d’une angioplastie avec mise en place d’un stent. Une première assistance circulatoire de type contre-pulsion par ballonnet intra-aortique est installée. La procédure se complique de nombreuses FV, nécessitant MCE et 15 CEE. Et de 40 ! Des anti-arythmiques sont administrés à fortes doses. Puis de multiples FV se poursuivent, répondant aux MCE et CEE. Et de 58 ! Un second équipage SMUR vient en renfort en salle. Un ECG met en évidence une ré-occlusion thrombotique du site dilaté, sur bas débit probable, qui bénéficie d’une thrombo-aspiration, permettant de restaurer un flux dans l’artère. Malgré cela, l’orage rythmique se poursuit avec la survenue de trois épisodes de tachycardie ventriculaire soutenue (TV) nécessitant un CEE, et de très nombreux passages en FV, toujours avec MCE et CEE. Et de 80 ! Le décompte s’est arrêté à ce chiffre (par épuisement du papier du défibrillateur). Afin de couper court à cet orage rythmique majeur ne répondant pas aux médicaments administrés, sur une artère qui pourtant reste ouverte, il est décidé de faire appel à une autre équipe de cardiologie afin d’implanter une assistance cardiaque totale de type ECMO (Extra corporeal membrane oxygenation) veino-artérielle. Moins de 20 minutes plus tard, l’équipe est sur place avec son matériel. Durant l’installation de l’ECMO, trois FV surviennent. Mais dès la mise en place finalisée de l’ECMO, l’orage rythmique est cassé. Un transfert en secteur de chirurgie cardiaque peut être organisé, et s’effectue sans encombre particulier dans une ambulance un peu chargée. Les suites sont marquées par une insuffisance rénale aiguë régressive sous épuration extra-rénale en quatre jours. La contre pulsion est enlevée dès J1, l’ECMO à J5, l’extubation a lieu au 7e jour. Après un petit épisode de confusion initial, le patient ne garde aucune séquelle neurologique. La sidération myocardique initiale récupère également dans les semaines qui suivent.

Discussion du cas clinique

Cette observation reflète l’importance de la chaîne de secours, des procédures et des filières d’accueil, mais surtout de la clinique avant tout, même si elle n’est pas confirmée par l’examen de référence habituel qu’est l’ECG devant une douleur thoracique. En l’absence d’admission directe en cardiologie, l’issue n’aurait probablement pas été la même. La survenue d’un orage rythmique incoercible ne doit pas faire baisser les bras et doit laisser la place à une escalade des thérapeutiques jusqu’à assistance complète. La forte présence médicale et paramédicale a permis, malgré le nombre d’ACC et de CEE, de limiter d’une manière drastique les périodes de no flow et de low flow, assurant une évolution sans séquelle neurologique.

 

Ce qu’il faut faire :

  • Devant une douleur thoracique, la clinique prime avant tout

  • Devant un patient présentant une douleur thoracique, je ne le quitte plus des yeux

  • En situation d’urgence, ne pas hésiter à faire appel à un renfort, avant d’être dépassé : il faut anticiper

Ce qu’il ne faut pas faire :

  • Les appareils de mesure ne sont pas infaillibles, le bon sens prime régulièrement

  • Aucune douleur thoracique ne doit être transportée sans un défibrillateur opérationnel à proximité immédiate

  • Les interruptions d’un massage cardiaque externe sont à proscrire (sauf cardioversion); même en cas de relais prolongés

 

 Dr Yannick Gottwalles

Cardiologue et urgentiste de formation, le Dr Gottwalles dirige le Pôle Urgences des Hôpitaux Civils de Colmar (68). Diplômé en médecine de catastrophe et en médecine du sport, il s’est spécialisé dans les risques nucléaires radiologiques bactériologiques et chimiques (NRBC-E), les techniques d’épuration extra-rénale et l’exploration hémodynamique par ultrason en anesthésie-réanimation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Share
X